Les équipages de sous-marin nucléaire lanceur d’engins subissent des contraintes importantes, vivent parfois des événements potentiellement traumatiques sans qu’une aide spécialisée puisse leur être apportée à court terme.
Les conditions des patrouilles imposent un travail prolongé en milieu clos sans lumière du jour, au rythme du quart tournant, sans communication vers le monde extérieur et notamment la famille pendant 70 jours, ce qui constitue pour les équipages une contrainte déjà importante en situation normale. D’autre part, le sous-marin évoluant en permanence en plongée dans un milieu hostile, tout incident, début d’incendie, voie d’eau même minime, peut potentiellement entraîner un risque vital.
Tout accident de sous-marin, contact avec le relief ou un autre bateau, met immédiatement en jeu la survie de l’équipage. Peu de travaux ont été réalisés sur les conséquences psychiques des contraintes auxquelles sont soumis les équipages de sous-marin, peu d’études ont été faites au décours d’accident.
Même si la taille des sous-marins tend à augmenter et si on porte une attention croissante à leur ergonomie, l’essentiel du volume est réservé aux machines et l’espace disponible pour les hommes reste limité. Au-delà du confinement, c’est l’absence de communication avec l’extérieur qui peut être un facteur de stress pour l’équipage. Pour assurer sa discrétion, le sous-marin n’émet aucun message. Il reçoit des informations mais celles-ci sont limitées et censurées. Le sous-marin et donc le sous-marinier ne donnent aucune nouvelle pendant 70 jours, sauf problème grave. Le sous-marin reçoit des messages en lien direct avec la conduite de la mission, des informations et les familligrammes. Ce sont des messages hebdomadaires, adressés par la famille, limités à 40 mots. Chaque message est lu avant son envoi à terre, puis par le commandant en second à son arrivée à bord. Il n’apporte que peu de nouvelles. Les informations contenues dans les bulletins d’actualité rédigés spécialement pour les SNLE sont cependant limitées aux nouvelles sans gravité. Il n’est pas question d’informer le bord d’un évènement, qui pourrait susciter une inquiétude pour les proches, restés à terre.
Cette distance imposée avec le monde extérieur, cette absence totale d’échange avec les proches contraste chaque jour un peu plus avec la vie à terre, où chacun est joignable quasi instantanément sur son mobile et peut susciter angoisse et difficultés pour le sous-marinier et surtout son entourage. Cette dimension d’isolement est très spécifique.
Le quart par tiers conduit à travailler par période de deux, trois ou quatre heures, les périodes tournant et se répétant tous les trois jours. Viennent se rajouter à ces horaires de travail au poste de quart les activités du quotidien et la réparation du matériel. Ce rythme de travail permet à l’équipage de tourner sur toutes les plages horaires et préserve un minimum de sommeil chaque nuit. Cependant, il risque d’entraîner une désynchronisation du cycle veille-sommeil. Ceci est peut-être encore accru par la privation de lumière naturelle, qui constitue un synchroniseur, essentiel des rythmes biologiques circadiens.
Les impératifs opérationnels des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins imposent à l’équipage un rythme d’activité soutenu, avec des périodes très différentes, nécessitant à chaque fois une adaptation physique et psychique, certaines périodes étant plus anxiogènes.
Le retour est un moment marqué d’une certaine ambivalence entre la joie des retrouvailles et la crainte de ce qui s’est passé pendant la patrouille : décès d’un proche, maladie d’un enfant, accident, départ de la compagne, etc. Certains marins éprouvent parfois des difficultés à retrouver leur place au sein du foyer, auprès d’une compagne qui a appris à tout gérer sans eux, auprès des enfants. Le vécu des proches. La manière, dont le sous-marinier vit la patrouille, dépend aussi pour une bonne part du vécu des proches. Ceux-ci doivent faire avec l’absence du compagnon, de l’époux, du père. C’est non seulement une absence physique, mais aussi une absence totale d’information. On ne sait pas où il est, ce qu’il fait et il peut être difficile de se le représenter au moment où on doit rédiger un familligramme après plusieurs semaines d’absence et donner des nouvelles sans en avoir soi-même.
La patrouille est un temps pendant lequel il faut gérer le quotidien, mais aussi tout événement grave, seul, sans aucun avis, ni conseil. La famille, les familles des autres sous-mariniers sont alors souvent mises à contribution. De son côté, l’institution met en place une cellule de soutien aux familles, s’appuyant sur l’action sociale aux armées et peut proposer une aide en cas de problème pour les démarches administratives. Le rythme des cycles opérationnels des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins sollicite fortement les capacités d’adaptation du sujet. Le début de patrouille. Le départ en mer, au cours duquel des exercices se succèdent après une période de remise en condition du sous-marin demandant un travail intense, entraîne une fatigue importante. Lorsque la patrouille proprement dite débute, la monotonie de l’activité favorise une ritualisation de la vie quotidienne. Par ailleurs, la nécessaire adaptation au rythme du quart tournant combinée à la fatigue peut favoriser des troubles du sommeil, voire des troubles anxieux et des difficultés pour maintenir son attention.
Lorsque approche la mi-patrouille, la préparation de la «cabane» aide à sortir de la routine et à se projeter vers le retour. Cependant, cette période festive peut aussi favoriser des troubles des conduites, notamment des alcoolisations. Ces troubles viennent alors révéler des troubles anxieux ou de l’humeur dans le cadre de difficultés d’adaptation persistant depuis le début de la patrouille ou plus souvent une inquiétude pour les proches restés à terre ou les problèmes laissés derrière soi.
La période la plus délicate est celle venant juste après la mi-patrouille. Après les réjouissances de la «cabane» qui annonce le retour, chacun prend conscience qu’il reste encore un temps relativement long de navigation. Les stratégies d’adaptation sont variables selon les sujets, certains pouvant présenter des troubles anxieux plus marqués. On note volontiers des difficultés d’attention plus importantes, une irritabilité latente, le moindre retard de familligramme suscitant une angoisse importante, un reproche d’un supérieur, un conflit avec un collègue pouvant entraîner des réactions disproportionnées, certains pouvant exceptionnellement aller jusqu’à des menaces ou jusqu’à en venir aux mains. Chez certains sujets, on peut aussi observer une altération de l’humeur, avec une irritabilité, une tendance au repli sur soi, une diminution du plaisir éprouvé, une altération discrète des capacités cognitives et une difficulté à maintenir son attention, à prendre des initiatives, réalisant un syndrome dépressif infraclinique.
Ces troubles sont peut-être à rapprocher du syndrome mental d’hivernage (mid-winter syndrome) des expéditions polaires, décrit dès 1900 par Frédéric Cook. Différentes hypothèses existent sur les causes de ces troubles, dont certaines en rapport avec une anomalie de sécrétion de la mélatonine. En 1996, une étude de l’IMNSSA montre qu’il n’y a pas d’altération du rythme, mais une diminution du niveau moyen de sécrétion. Des études américaines retrouvent des désynchronisations et des phénomènes de libre cours. Ces anomalies pourraient être liées à la privation de lumière naturelle et à un faible éclairement artificiel, mais aussi aux conséquences du quart tournant. Des études ont été initiées pour préciser l’intensité de ces troubles et mieux évaluer les modifications de la sécrétion de mélatonine.
Les dernières 48 heures de mer sont propices à des troubles anxieux :– tant que le goulet n’est pas franchi, la patrouille peut être prolongée;– c’est aussi le moment où le commandant peut appeler quelqu’un pour lui annoncer une mauvaise nouvelle survenue pendant la patrouille. Le retour nécessite quelques jours d’adaptation à la vie à terre. Le sous-marinier doit quitter la routine de la patrouille et reprendre le rythme de la vie quotidienne. Il existe une relative désorientation dans le temps et l’espace et il faut un certain temps pour prendre conscience de ce qui s’est passé à terre pendant 70 jours de patrouille et certains faits resteront toujours comme étrangement absents, car non vécu dans leur réalité.
Les troubles psychiques les plus souvent observés à bord sont des troubles réactionnels : troubles anxieux, troubles du sommeil, troubles des conduites sans gravité. Cependant, la période de la patrouille peut aussi être un moment propice à une décompensation d’un trouble psychique plus grave : syndrome dépressif, voire trouble psychotique. Bien que l’équipage soit jeune et sélectionné, d’exceptionnels cas de syndrome dépressif ou d’état délirant aigu ont été observés, avec des complications inattendues au sein de l’équipage. Ainsi, par exemple, au 25e jour d’une patrouille, le médecin du bord était appelé pour une rixe impliquant un jeune second maître informaticien de 26 ans, dont c’était la première patrouille. Il affirmait qu’on dit qu’il est homosexuel, qu’il faut qu’on arrête de dire ça. Le jeune homme a été accompagné à l’infirmerie, où l’examen psychiatrique a mis en évidence un syndrome délirant avec des thèmes persécutifs et mystiques, des mécanismes hallucinatoires et des idées suicidaires.
À bord, le traitement se limite à un neuroleptique sédatif, imposant de garder le patient à l’infirmerie sous surveillance constante jusqu’au retour. Cependant, peu après la mi-patrouille, lors de ce cas, une rumeur courrait : il y a un mort à bord ! Le patient restant en permanence à l’infirmerie, une partie de l’équipage était convaincue qu’il était mort. Seules des visites de ses camarades permettaient de rassurer l’équipage. Au retour, le patient a été hospitalisé à Brest, où une schizophrénie est diagnostiquée. On constate ainsi qu’au-delà de la difficulté de soigner un trouble psychiatrique à bord, celui-ci peut avoir un retentissement important sur le moral de l’équipage.
Les accidents de sous-marins sont relativement fréquents. Pourtant, il existe très peu d’études sur ce sujet et nous n’avons retrouvé que quatre publications. Tout accident en plongée est potentiellement traumatique. Le milieu sous-marin est un milieu particulièrement hostile et tout accident survenant en plongée, incendie, voie d’eau, collision avec un autre bateau ou le relief, prend rapidement une dimension catastrophique, engageant la survie du sous-marin et de son équipage. Étant donné ses conséquences potentiellement fatales, on peut supposer qu’un accident en plongée, même relativement modeste, sans mort, ni blessé, peut être ressenti comme un événement menaçant l’existence pouvant alors prendre une dimension traumatique.
Les états de stress aigu. Quoi qu’il en soit, les études réalisées au décours d’accidents de sous-marins retrouvent très peu de troubles aigus. S’il existe des réactions de stress, celles-ci sont plutôt adaptées. Il n’y pas de réaction de panique, d’effroi ou de sidération. Au contraire, on note une très bonne, voire une excellente réaction à la situation, les équipages rejoignant très rapidement leur poste de sécurité, certains expliquant avoir réagi sur un « mode réflexe», malgré la peur et le danger.
Les études réalisées retrouvent cependant très souvent un trouble de la contraintes subies par les équipages de sous-marins et troubles psychiatriques perception de l’écoulement du temps ou une dissociation péri traumatique. Lorsque les marins ont déjà été exposés à des situations où leur vie était en danger, la fréquence des états de stress post-traumatiques évaluée par des échelles, IES (Impact of Events Scale) ou PCLS (Posttraumatic Checklist Scale), est très variable. Elle a été de 2 % dans l’étude sur l’équipage du SNA Rubis lors de son accident. Ces chiffres sont faibles.
Cependant, il convient de noter que ces études portent uniquement sur les marins maintenus à bord après l’accident (48 sur 81 pour le SNA Rubis). Même si les changements d’affectation n’ont pas été motivés par des raisons médicales ou des demandes de mutation clairement exprimées, il est possible que le choix de muter des personnels ait été influencé par des troubles a minima.
Des études plus exhaustives permettraient de mieux répondre à cette question. D’autre part, en ce qui concerne l’étude sur le SNA Rubis, si un seul sujet présente un score supérieur à 44 à la PCLS, on note qu’un d’entre eux ayant un score de 41 présente des phénomènes de répétition importants (sous-score à 20 sur 25), un autre des réactions de sursaut et une irritabilité et cinq autres, parfois ou souvent, des cauchemars répétés en relation avec l’accident.
Une évaluation clinique retiendrait peut-être le diagnostic de syndrome psycho traumatique et ces sujets sont malheureusement probablement hautement à risque de développer un trouble constitué à l’avenir. Les études montrent que la fréquence des troubles anxieux immédiats ou différés au décours d’accidents de sous-marins est relativement faible. Un certain nombre de facteurs semblent jouer un rôle protecteur :
- les sous-mariniers sont tous volontaires et font l’objet d’une sélection rigoureuse;
- il y a une très bonne connaissance du milieu et du risque afférent : tout sous-marinier quelle que soit sa fonction à bord apprend lors de sa formation initiale le fonctionnement du sous-marin et les gestes à réaliser pour revenir à la surface et assurer la survie de l’équipage;
- l’équipage s’entraîne régulièrement, au moins une fois par semaine, à faire face à des situations d’accident (incendie, voie d’eau, blessé, etc.) .
- la cohésion de l’équipage est importante;
- il existe des structures de commandement bien établies, très hiérarchisées, s’appuyant sur des compétences de haut niveau et reconnues.
Les deux publications françaises concernant les accidents de sous-marins soulignent un élément important. Les sous-mariniers consultent très peu après de tels accidents. Seulement 3 sur 48, 6 %, en ont parlé avec un médecin. Ceci peut être lié à une crainte quant à l’aptitude à la navigation sous-marine, mais ils ne disent pas non plus avoir consulté un médecin civil. Il peut aussi être difficile pour un militaire d’évoquer une souffrance psychique, d’autant plus au sein d’une unité, sur laquelle repose la dissuasion nucléaire. Chacun doit être en mesure d’effectuer sa mission sans état d’âme pour en assurer la continuité. Peut-on évoquer sa propre crainte de mourir à titre individuel, quand on participe à la mise en œuvre d’une installation pouvant donner la mort à des millions d’êtres humains?
Il n’est pas non plus toujours facile de proposer aux équipages impliqués les soins adaptés. Alors que des cellules médico-psychologiques ont été mises en place sur tout le territoire et qu’on les fait intervenir rapidement, plusieurs semaines ont été nécessaires après l’accident du Triomphant, qui est entré en collision avec l’HMS Vanguard début février2009, avant de pouvoir proposer à l’équipage une prise en charge spécialisée.
Différents facteurs peuvent expliquer ce délai. La continuité de la dissuasion nucléaire repose sur la discrétion des SNLE et sur le secret qui entoure leurs missions. L’accident n’a ainsi été révélé que plusieurs jours plus tard par voie de presse. L’équipage est aussi censé faire face à toute situation dégradée. Il y a une consigne pour chaque incident, chaque accident qui, appliquée sans hésitation, ni doute, évitera l’issue fatale : les consignes ont été appliquées, le bateau est rentré, on pourrait considérer qu’il n’y a pas réellement eu de problème. Le surentraînement conduit, ici, à banaliser l’accident, à ne plus laisser de place à l’hésitation de l’homme, à la peur, à l’angoisse. Le trouble psychique peut être ressenti comme une menace faisant craindre l’erreur humaine, là où tout est prévu par les consignes. Il risque de remettre en cause la capacité à mener à bien la « Mission » et fait redouter une erreur pouvant conduite à un accident impliquant une installation ou des armes nucléaires et ses conséquences.
Ainsi que nous l’avons vu, même si l’organisation des équipages de sous-marins, leur formation, leur entraînement concourent à diminuer les troubles anxieux lors d’accidents, ces troubles existent et doivent être pris en charge en appliquant les principes de Salmon, au plus vite, au plus près, pour limiter les troubles aigus, prévenir les troubles retardés et maintenir durablement les capacités opérationnelles des équipages.
Conclusion. L’arme sous-marine impose, comme nous l’avons vu, des conditions de travail très particulières, entraînant des contraintes importantes et spécifiques. Si les troubles psychiatriques graves sont possibles mais exceptionnels, on note des troubles anxieux, voire une altération de l’humeur et des troubles cognitifs a minima, qu’il pourrait être utile d’étudier afin de préciser leur importance et leur lien possible avec une modification des rythmes circadiens. Bien que les sous-marins nucléaires aient des performances tout à fait exceptionnelles et que la probabilité d’accident soit aussi réduite que possible, ceux-ci surviennent parfois pouvant fortement éprouver les équipages. Si l’organisation des sous-marins semble avoir des effets protecteurs, des troubles aigus et des syndromes psycho traumatiques peuvent survenir et il convient de mettre en œuvre tous les moyens spécialisés adaptés pour les traiter et les prévenir. Les facteurs protecteurs retenus dans les différentes études sont le volontariat, la sélection des équipages, un haut niveau de connaissance et d’entraînement et une grande cohésion. Ces facteurs sont importants non seulement au sein des équipages de sous-marin, mais aussi au sein de toutes les unités engagés dans des missions opérationnelles.
On peut se poser des questions sur l’état psychologique des sous-mariniers britanniques qui réalisent des patrouilles de 6 mois.