Le Carré et ses attributs
(source www.netmarine.net)
Le Président, choisi par le commandant parmi ses membres les plus anciens, a la lourde tâche de faire fonctionner harmonieusement, à la fois dans le respect des traditions et dans celui des règlements, un ensemble de dix à trente officiers, parfois plus, et souvent d’origines, d’âges et de préoccupations différentes. En ce sens et nonobstant la cordialité des relations qui existe normalement entre les membres du carré, le président est dépositaire d’une autorité réelle vis à vis de ceux-ci afin d’assurer en souplesse la parfaite cohésion de l’ensemble. Il s’efforce notamment de combattre la formation de « clans », les exclusions et de favoriser l’émergence d’un véritable esprit de corps dénué de tout corporatisme. Pour y parvenir, le Président de carré est souvent obligé de faire preuve de fermeté, ce qui fait souvent dire que la présidence est une dictature. Mais c’est bien plus parce que les autres membres aimeraient bien, eux aussi, être Président à la place du Président et jouir de ses nombreux privilèges.
Pour exercer son office, le Président est pourvu d’un ensemble conséquent d’attributs :
- La cloche : Agité par le Président dans les cas suivants : lecture du menu, fin de repas, attribution d’un huitième (voir plus loin), ou selon son bon vouloir.
- La gaffe : est disposée par le Président en face d’un membre en ayant commis une, ou sur le point de la faire.
- Le mur : …de la vie privée est utilisé lorsque son franchissement est imminent. Il manque toujours une brique dans le mur, car ne l’oublions pas, le Midship n’a pas de vie privée.
- L’échelle : sert à indiquer à un membre qu’il est temps pour lui de redescendre de l’arbre dans lequel il vient de grimper si vite.
- Le balai : permet d’inviter un membre à balayer devant sa porte.
- Le puits (sans fond) : pour ne pas tomber plus bas.
- La pince : du menteur (comme un arracheur de dents).
- Le cercueil : qui contient des mots ou des noms dont l’usage est interdit au carré.
Le Midship se situe à l’autre extrémité du carré car il s’agit de l’officier le moins ancien, parfois le moins âgé mais ce n’est pas une règle obligatoire. Le rôle essentiel du Midship, est de veiller à ce que les traditions soient respectées et vivantes à l’intérieur du carré. Dans cette optique, il possède une autorité officieuse, mais généralement reconnue, sur le Président et peut le sanctionner si l’esprit des traditions n’est pas respecté. En plus de cet aspect « Garant de la constitution », il se voit confier bien entendu d’autres tâches utiles comme la lecture du menu, l’accueil des invités, la rédaction des cartes de vœux ou des lettres de remerciement, la tenue des documents du carré ou, lorsqu’un ange passe, le choix d’un sujet de conversation. Le Midship n’est pas pour autant le « larbin » des autres membres du carré et possède malgré tout quelques privilèges dont celui de pouvoir choisir son dessert avant tout le monde. Mais surtout il est partie intégrante du carré, son rôle est essentiel et de sa vivacité, de son imagination et de sa volonté de l’assurer avec bonne humeur dépendent beaucoup l’atmosphère rafraîchissante que peut connaître un bon carré.
Le Midship possède lui aussi des instruments qui lui permettent de tenir son rôle :
- Le cahier des huitièmes : Ouvert à l’intention de chaque membre, il recueille les huitièmes (punitions) infligés par le Président aux membres, ou, par le Midship au Président, ou par le Vice-président au Midship. Le libellé des motifs est libre, donc injuste et bien sûr humoristique.
- Le cahier des fortes paroles : recueil de bons mots.
- Un stylo : indispensable
Le vice-président
Le Midship peut sanctionner le Président s’il estime que ce dernier manque à ses obligations à l’égard des traditions, le Président lui ne peut en faire de même vis à vis du Midship. Pour empêcher toutes collusions entre ces deux membres éminents, il est donné au Vice-président le pouvoir de rappeler au Midship ses devoirs. Ceci a pour effet d’apporter un léger parfum de démocratie au sein de l’épouvantable dictature qu’est la présidence.
Le chef de gamelle
Seule fonction définie par des textes réglementaires, le chef de gamelle a la lourde tâche de gérer les finances du carré. Les améliorations dans les repas sont souvent du fait de la gamelle. En général, choisi par le Président parmi les enseignes de vaisseau de 1ère classe, le chef de gamelle change tous les six mois.
Les autres membres
En fonction de leur situation à bord, certains membres se voient attribuer des appellations particulières :
- Le Colonel : c’est l’officier fusilier ou protection du bord
- Le Directeur : souvent oublié, c’est le canonnier qui est aussi l’officier tradition du carré, consulté en cas de doute en matière de doctrine.
- Certaines personnalités extérieures au carré reçoivent également une appellation ; ainsi tous les invités sont de « nobles invités », l’aumônier (le bohut), quelle que soit sa confession est « Monseigneur », alors que le Commandant reste le Commandant.
Le fonctionnement du Carré
Comment vivre ensemble, parfois pendant de longs mois, avec pour seul lieu de détente, ou presque, ce carré toujours trop exigu d’un mètre. A vrai dire, il faut reconnaître que les longues périodes de mer et les surcharges réelles de travail qui sont le flot de tout le monde à bord font qu’il est facile et tentant de céder à l’envie de jeter par-dessus bord ces traditions jugées alors d’un autre âge. Il est souvent impossible de faire autrement, il faut en convenir, mais le calme revenu, quel plaisir aussi de se laisser aller au charme du repas présidé, surtout si à ce plaisir s’ajoute celui d’être accompagné de « nobles invités ». Quel plaisir, à l’issue d’une longue campagne ou d’une affectation, de relire ces cahiers qui nous permettent de revivre tant de moments forts, de revoir ou de réentendre ces visages et ces rires qui nous ont accompagnés quelques mois. Quel plaisir aussi, de pouvoir évoquer ces plaisanteries de « premier embarquement », nos souvenirs de victime comme ceux, plus tard, des rôles tenus. Tous ces souvenirs que nous pouvons évoquer, ces moments que nous avons vécus comme ceux que nous vivrons encore, c’est un peu cela l’esprit de carré. Mais il faut aussi que chacun y mette un peu du sien.
Le repas présidé
Le repas présidé est certainement la composante de la vie du carré la plus connue, tant dans la Marine qu’à l’extérieur, et s’il est une tradition qui doit subsister, c’est bien celle-ci en raison de l’attrait qu’elle suscite toujours chez les personnes étrangères à la Marine qui ont la chance d’y assister. Empreinte d’un charme un peu désuet, cette tradition qui a ainsi pu traverser de nombreuses époques est un témoin vivant du savoir vivre et du savoir-faire de notre Marine en matière de réception et de représentation. Même en l’absence de « nobles invités », le repas présidé représente un des moments privilégiés de la vie du carré, et de son déroulement, il est toujours possible de déduire la qualité des relations entre ses membres.
Il commence toujours par la lecture du menu par le Midship. Le Midship se lève sous les hués pour lire le menu conformément à la formule suivante, pouvant comporter quelques variantes :
« Nobles invités (en présence d’invités), Président (ou commandant), Monseigneur (en présence de l’aumônier), Directeur (si le canonnier est présent), Mon colonel (si le fusilier est présent), Messieurs (pour les autres membres), le menu de ce jour …. de l’an de grâce … sera … ». A ce moment, le Midship est généralement arrêté dans son élan par les membres du carré qui s’écrient « dégueulasse comme d’habitude ! ». Puis suit une rédaction libre, humoristique, et sans lien obligatoire avec le repas proposé, qui se conclue par : « le tout arrosé de … » chambré/glacé/tiède comme il se doit. « Le saint du jour est … la fête à souhaiter est … (bonne fête Président !). Il est exactement midi à la montre en or massif du Président (et non du Président massif). Bon appétit nobles invités, bon appétit Messieurs ». Ce à quoi l’assistance répond d’une seule voix : « Bon appétit Midship » en y ajoutant parfois une courte phrase affectueuse : « et que le cul te pèle en large plaques scrofuleuses, que Belzébuth te sodomise jusqu’à la septième génération au moins, sous les palétuviers roses (bleus)… ». Il y a également une version avec un « baobab géant de l’Afrique Equatoriale Française… ».
Au cours de ce repas, qui peut alors commencer, la bonne humeur est de règle et le goût du petit blanc apprécié. Le Président à toute latitude pour exercer sa dictature, tempérée toutefois par la promptitude du Midship à sanctionner ses infractions éventuelles. Chaque manquement aux règles est ainsi punissable d’un huitième, et l’accumulation de huit d’entre eux par un membre est signalée par le Midship qui procède alors à leur lecture. Le fautif doit alors faire amende honorable en offrant au carré une bonne bouteille (ou tout autre objet à la discrétion du Président). Les manquements les plus fréquents sont :
- Commencer ses agapes avant le Président, le coupable est généralement démasqué aussitôt grâce au civisme de ses camarades qui s’empressent de lui souhaiter un excellent appétit. Ceux-ci sont d’ailleurs également passible d’un huitième pour dénonciation.
- Arriver en retard sans présenter ses excuses à l’assemblée par la formule « service Président ».
- Parler de service à table.
- Evoquer une personne « enterrée» (voir plus loin).
- Evoquer certains sujets « anatomiques » avant le fromage.
- Manipuler avec concupiscence les attributs du Président.
- Déplaire au Président, mais attention car le Président peut aussi déplaire au Midship, lequel peut agacer le Vice-président…
Enfin pour marquer l’intronisation d’un nouveau membre, il est d’usage de lui infliger d’emblée un huitième de bienvenue (pour ouverture de compte).
Lorsqu’en fin de repas le Président, souvent en raison de son grand âge et miné par les pesantes responsabilités qui sont les siennes, est victime d’une absence de conscience ou se laisse aller à la somnolence, prolongeant de ce fait le repas, il est de bon ton qu’un membre du carré entonne un chant communément appelé « L’Espagnole ».
Le midi sonné à la montre en or massif du Président marque la fin de la pause du déjeuner. Dans certains carrés particulièrement sensibles à l’art musical, il peut arriver que le président demande le « Solo, Midship ». Celui-ci doit alors entonner d’une voix suave et caressante pour les oreilles des anciens les paroles suivantes d’un air bien connu : « Plaisir d’amour ne dure qu’un instant – Chagrin d’amour dure toute la viiiiie »
Après le Solo Midship, le coryphée dans son ensemble peut aussi entonner le Chœur des vierges, mais ce n’est pas obligé.