La Coop
Mars, bonbons Krema, Sucettes Perrot Gourmand, rien de tel pour passer une bonne séance ciné à bord. Mais pour profiter de tels prduits diététiques, inutile de chercher de la monnaie pour se pointer devant le distributeur automatique, il faut se présenter au responsable de la Coop.
Pour être responsable de la Coop, nul besoin de bûcher à l’école de Maistrance, encore que … Généralement, cette fonction vous tombe dessus si vous êtes infirmier du bord, surtout sur SNLE. C’est comme une tradition. Le responsable du budget est le médecin du bord, mais l’homme clé est l’infirmier. Pour être mauvaise langue, on dira qu’en dehors des petits bobos, il a du temps. Quand il n’est pas infirmier, c’est souvent le Pacha qui se pointe un jour et qui annonce « Toi, tu seras responsable de la Coop ». Et ça ne se discute pas. D’autant que ce n’est pas une corvée. Prenons-le plutôt comme une marque de confiance. Car le poste est stratégique. Il consiste autant à organiser la vente de petits objets et consommables à bord et d’organiser les jeux et concours tout au long de la patrouille. Y’a pire !
On trouve de tout à la Coop. Un peu comme chez l’Arabe du coin (aucun esprit racisme de ma part, je précise). Des sucreries (Mars, Nuts, Sucettes Pierrot Grourmand, gateaux, bonbons de toutes sortes, Rochers Suchard et autres gateries qui remontent le moral). On y trouve également des produits d’hygiène de première nécessité comme des rasoirs à main avec son savon à barbe (les bombes étant proscrites), du dentifrice, du déodorant, de l’eau de Cologne (à consommer avec modération sous peine de remontée en surface en catastrophe), la lotion de Foucault, des sous-vêtements dont on avait surestimé la résistance.
On y trouve également des tee-shirt floqués Marine Nationale ou du nom du bateau. Il y a plusieurs tailles de disponible, car c’est sympa d’en ramener aux bambins au retour de mission. Question souvenir, on peut également trouver des tapes de bouche, porte-clés, médailles, barrettes, briquets Zippo, jeux de carte, casquettes, tests vin, le tout étant fourni au SAM (Service d’Approvisionnement de la Marine). Il y a de quoi faire.
Bref, on trouve de tout, sauf des timbres et des revues pornographiques qui sont elles, achetées avant le départ…
Mais, ce genre de souvenirs, on en trouve dans tous les bâtiments de la Marine et dans tous les sous-marins. Car parmi ces responsables de la Coop, il y a des démerdards qui s’organisent pour vendre ce qui n’est pas essentiel, mais qui est beaucoup plus original. Le tout est de bien s’organiser, de trouver les fournisseurs et de connaître des envies de l’équipage. Côté fournisseur, il y avait la boutique de Madame Le Monze qui acceptait de règlement de treize à la douzaine. Ca marchait très bien pour les articles un peu chéro comme les lunettes Rayban, les blousons d’aviateur (et oui) et autres objets capables de générer des envieux à bord. On en embarquait un exemplaire à bord et on faisait la déballe à bord (pas question d’embarquer 25 blousons à bord évidemment). A la fin de la patrouille, on enregistrait les commandes.
Aux périodes de Noël, on pouvait également acheter des petits jouets à bord (comme des petites voitures Solido) pour le retour en famille, histoire de ne pas revenir les mains vides.
Il y avait également des commandes spéciales comme le marin qui avait commandé au Coop avant d’embarquer un boite de palette à maquillage complet pour ses 10 ans de mariage. Comme son épouse ne le lâchait pas d’une semelle à terre quand il faisait ses courses et qu’il ne savait pas tenir sa langue, il avait confié l’achat au Coop pour récupérer le cadeau et bord et l’offrir à son retour.
De la même manière, les épouses pouvaient confier à la Coop un cadeau pour l’anniversaire de leur époux. Une belle attention !
Le responsable de la Coop était libre de ses achats et pouvait ainsi imprimer sa petite touche personnelle à son étal. On pouvait même lui passer des commandes pendant les périodes d’entrainement à terre. Le Pacha n’était pas regardant à condition de ne pas transformer le bateau en Bazar de l’Hôtel de Ville. A une occasion, la Coop s’est transformée en marchand de chaussures. Le Commandant en second avait décidé d’accélerer la mise aux normes de la tenue vestimentaire de l’équipage et avait ainsi commandé des chaussures bateaux bleues (Botalo) après avoir répertorié toutes les pointures nécessaires.
Pour parler des choses sérieuses, on pouvait également acheter des cigarettes et de l’alcool en détaxé lorsque le bateau avait passé la frontière des eaux territoriales. Il n’était pas nécessaire d’avoir fait un escale (car sinon, les équipages des SNLE auraient fait la tronche). Mais dans tous les cas, il y avait des normes à respecter. Chaque homme du bord avait le droit à un litre d’alcool fort (ou 1,5 litre d’alcool léger) et à une cartouche et demie de cigarettes. La notion de litre à toute son importance car les Gapeloux (douaniers) avaient tendance à confondre les litres et les bouteilles et il fallait bien souvent leur faire comprendre qu’une bouteille ne contient que 75 cl. Après, il y a des marins qui ne fument et qui ne boivent pas. Dans ce cas, ils achètent pour les autres. On joue en équipe ! En conclusion, 100 hommes à bord, 133 bouteilles et 150 cartouches de cloppes. Par contre, le sous-marin n’ayant pas pour vocation de devenir une barique à Whisky, les bouteilles n’étaient pas stockées à bord (comme les cigarettes. Ces précieuses denrées étaient distribuées au retour de la mission après avoir été cherché le stock au SAM, avec passage aux douanes (parfois 10 jours plus tard). Et il y a aussi les parfums en détaxe que l’on achetait directement à bord ou au retour de la mission. Les épouses, moins penchées sur le Rhum, étaient particulièrement interessées par les parfums et par le prix avantageux auquel elles pouvaient l’obtenir. A tel point qu’il y eut un jour un scandale à magasin de la base car certaines ne comprenaient pas pourquoi elles ne pouvaient bénéficier de la même ristourne.
A propos de paiement, on ne paie pas à chaque Carambar. Le responsable de la Coop note tout dans son carnet et à la fin de la mission, on vous présente la douloureuse que vous pouvez payer en liquide ou en chèque. Mais la maison ne fait pas crédit au-delà de la patrouille. Parfois, quand un marin se lâche un peu trop, on lui rappelle qu’il devra honorer ses achats à la sortie et qu’à ce jour, il en est déjà à 250 €.
Quand les comptes sont faits, ils sont présentés au trésorier du bateau (généralement le médecin) et ensuite validés par le Commissariat aux finances de la Base. Lors de certaines patrouilles gourmandes, le chiffre d’affaires peut dépasser 20.000 € (et plus encore à Noël avec les commandes de parfum). Mais qu’on se le dise, il n’y a pas de caisse noire à bord (ou alors, on ne m’a rien dit).
Les prix sont très accessibles (moins chers qu’un paquet de Chips sur un vol Air France) et la marge varie de 10 à 20% selon les articles. Le bénéfice est intégralement ré-investi à bord au profit de l’équipage. A l’époque des classiques, le bénéfice servait souvent à donner une petite enveloppe aux marins non gradés du bord qui, lors des escales, n’avaient pas grand-chose pour se loger (contrairement aux officiers). Sans leur permettre de se payer une suite, ça améliorait l’ordinaire.
Aujourd’hui, ce problème étant en partie réglé, le bénéfice est utilisé pour acheter des denrées et cadeaux qui sont offerts lors des différents jeux et concours organisés à bord, comme la pesée du sac. Car c’est là l’autre casquette du responsable de la Coop, organiser les événements ludiques de la patrouille.
A partir de là, il y a des Coops célèbres, des tristounettes, des originales et des mal achalandées. Mais elles sont toutes réglementaires. Son responsable est nécessairement un homme qui aime les gens, mais il n’en tire aucun avantage. Ni financier, ni d’estime. C’est juste un homme du bord qui fait son taff. Et qui le fait bien.
Mes remerciements à Jean-Paul, Christian, Gilbert et Jacques pour leur participation a cet article.