Interview de David, Cuisse sur SNLE

Jordan, un autre Second Maître à bord d'un SNLE (Source Marine Nationale)
Roger Launay (à gauche), cuisiner sur le Redoutable

Aujourd’hui, nous avons la chance exceptionnelle d’interviewer un sous-marinier en exercice. Un Français et qui de plus est, navigue en ce moment dans les eaux sombres à nord d’un SNLE.

Oui, comme dirait Jérôme Rothen sur RMC Foot, un invité exceptionnel qui nous fait l’honneur de répondre à mes questions.

Pour des raisons évidentes, nous ne citerons pas son nom de famille (son prénom a été également changé), son matricule, ni le nom de son bateau. Et encore moins de sujets propres à la dissuasion nucléaire et aux caractéristiques opérationnelles du SNLE…

David est « adjoint cuisiner » à bord d’un des fleurons de la Marine Nationale en attendant la future génération des SNLE 3G. Du fait de son statut à bord, il a la possibilité d’être un observateur averti de ce qui se passe à bord et de croiser autant les simples matelots que les officiers supérieurs.

C’est parti !

J’ai exercé une année à la PMM des Sables d’Olonne en 2018-2019 pendant mon année de terminale au lycée dans l’hôtellerie & la restauration puis j’ai travaillé 1 an en cuisine. Ensuite j’ai fait de l’intérim dans la même période où mon dossier d’engagement était en étude au CIRFA. Après c’est l’incorporation, les tests, les formations et le cours de sous-marinier qui s’enchaînent avant l’affectation sur équipage où mon parcours SNLE débute.

Que dans des structures civiles ; un bac technologique au lycée, en cuisine dans un restaurant, des prestations en intérim (4 ans et demi en tout environ).

Vocation personnelle à part entière ! Je voulais faire le chemin le plus dur, le moins commun, j’ai réussi.

Effectivement c’est différent et exigeant mais ça ne me dérange pas, j’aime ce que je fais et les mecs sont contents de la nourriture. Souvent une pause d’1heure fait du bien pour dormir un petit peu (ça reste important !)

Pour être cuisse sur SNLE ou même sur SNA II y a la FEM (Formation Élémentaire Métier) que l’on passe peu de temps après le recrutement.

Il faut plein de choses ! Énergie, motivation, envie, propreté, organisé, attentif, intéressé… Il faut étudier les menus de façon à les varier et à ce qu’ils plaisent à l’équipage, savoir gérer plusieurs choses en même temps. Ce n’est pas toujours évident mais c’est le job !

Réveil, petit-déjeuner, brosser les dents… Après j’attaque avec mon chef. L’un fait les entrées et l’autre le plat, les accompagnements, la sauce. Quand l’un a fini, il aide l’autre. La soupe se fait en deux services et on mange à l’issue ou entre les deux services si c’est possible. Ensuite je nettoie la cuisine et on prend une pause pour revenir plus tard dans l’après-midi ou sinon si un exercice pète, on rallie la cuisine pour faire à manger pour la soupe du soir. Et on décale la pause. Ça fait des journées 7h30-21h30. Parfois, on termine à minuit avec 2h de pause dans la journée ou parfois aucune.

Les journées classiques sont les lundi, mercredi, samedi. Mardi c’est repas à thème (ex : belge, îles, cochon, scandinave, etc.). Jeudi et dimanche repas améliorés, vendredi soir le gratin de pâte est très apprécié !

Les exercices ne sont pas annoncés à l’avance, c’est comme la surprise du jour. En mission opérationnelle, on n’est pas concerné par les remontées rapides. Pour les exercices de sécurité, incendie, poste de combats etc., les responsables des exercices évitent de déranger la cuisine, la souille et la boulangerie (locaux qui sont regroupés ensembles).

Dans notre secteur on est 10 :

  • 1 boula (boulanger).
  • 2 cuisses (chef + adjoint).
  • 1 patron de cafétéria + 3 adjoints : adjoint caf’, castor, souillardier.
  • 1 maître d’hôtel commandant + 1 adjoint
  • 1 commis

Pour le Castor, chaque lettre correspond à un mot du genre « Compartiment Auxiliaire Service Traitement des Ordures » Je sais plus exactement mais en gros c’est l’éboueur du bord. Le Souillardier est le plongeur du bord car il n’y a qu’un seul lave-vaisselle qui ne lave que les verres. Quand le Souillardier est efficace, on l’appelle le « Plongeur de combat ».

Bien sûr, si un sinistre se déclare je suis capable d’intervenir dessus rapidement. Je regonfle aussi les bouteilles d’air sous pression utilisées par les pompiers.

Les rôles sont fixes par rapport au poste de la personne. Un poste (par exemple adjoint caf’) a des rôles bien déterminés. S’il change de poste à la prochaine navigation alors il aura des rôles différents.

Effectivement on peut changer parfois de sous-marin, ça dépend des besoins en personnel. Dans tous les cas il faut que la compagnie soit complète.

Bien sûr ! S’il y en a qui sont nuls, il peut décider de les faire débarquer. Il peut aussi demander à « l’alerte SNLE» (des sous-mariniers en attente d’embarquement et prêt à embarquer à n’importe quel moment ) une personne pour remplacer la personne défaillante.

Quand on n’est pas en mer dans le reste de l’année, on s’entraîne (plateformes, exercices, préparatifs de la patrouille). On soutient l’autre équipage avant leur départ en mer, on est en vacances ou alors on se prépare à partir en mer. Ça dépend de la période.

Ils font partie de la compagnie oui. Ils s’occupent des exigences des officiers (lieutenants, capitaines, commandants), préparent le carré pour les soupes, et prennent des initiatives (ex : faire des petits gâteaux, cocktails etc.). Mais ce n’est pas un pistonné !

Je ne suis pas maître d’hôtel donc je ne sais pas tout… mais oui il y a toujours les couverts en argent, je n’en sais pas plus.

Pas vraiment, il y a juste le chrono qu’il faut gérer.

Ca arrive dans les périodes d’essais si rien n’est arrimé. Mais des loquets évitent que les tiroirs qu’ils ne s’ouvrent, idem pour le frigo et les placards.

Un lot de principes oui : les « quatorzaines » pour donne à manger à un équipage entier pendant 2 semaines. Après on passe commande de ce qu’il nous faut d’autre et donc on fait aussi une liste des denrées.

Bien sûr, nous ne sommes pas épargnés par les inflations.

C’était le repas oriental ! Avant le début de chaque soupe une animation est faite !
Les murs et le plafond avaient été couverts de draps. Des hommes s’assoient au milieu de la cafétéria sur un tapis et pour remplacer la chicha ils ont pris un extincteur à canule (déjà rien que l’idée j’étais mort de rire), un autre était déguisé en génie, des lampes comme dans Aladin, un autre qui s’est déguisé en princesse, un autre qui s’habillait en terroriste, un autre en cochon, et un autre avait un petit livre comme pour remplacer la bible et avec une fausse barbe, etc. Je n’ai pas gardé le menu mais il reprenait les plats typiques du Moyen-Orient.

On travaille des plats parfois avec un style provençal (c’est ce qu’il y a de plus simple). On n’a pas de spécialité, notre manière de travailler est tout simplement française.

Pour les allergies (par exemple pour un poisson), on lui met plus de garniture. Le truc c’est qu’on fait par exemple une entrée avec de la viande et un plat avec du poisson dans tous les cas. S’il mange moins le plat, il a quand même eu une entrée qui lui plaît avec la possibilité de lui en refaire donc il est ravi. Même principe pour les religions.

Effectivement on a le plus gros budget pour les vivres donc on est un peu les privilégiés. C’est normal, car il faut compenser l’environnement dans lequel on vit (pas de soleil, pas de vent, pas d’amis, pas de femme, pas d’enfants, pas d’internet, exposé aux risques, le moral qui flanche etc.). Et le moral passe par la nourriture.

Nous ne sommes pas toujours jouissif de la qualité des matières mais la qualité des repas est peut-être dû à notre travail et au budget alloué.

Mon rêve n’est pas vraiment de savoir ce que je souhaite cuisiner mais plutôt que l’équipage soit content au maximum et d’être cuisse 1er (chef de cuisine sur SNLE).

Le pain chaud et les croissants c’est le taf du Boulanger. Quand ils me demandent ce qu’on mange le soir, je leur dis et ils sont contents. Les relations se font avec les gens que l’on croise souvent. Pour ce qui est de réconforter c’est plutôt dans les temps où le moral baisse qu’il faut prendre le temps de discuter avec la personne et après ça va mieux.

Parmi les 2 infirmiers du bord, il y en a un qui n’a pas trop ….. en sous-marin et l’autre qui est … de l’équipage donc ce n’est pas un bon exemple… Cependant le confident est une personne appréciée de celle qui ne va pas bien.

C’est un peu la « guéguerre » oui. SNA et SNLE c’est comme Paris et Marseille, le Nord et le Sud, la Bretagne et le reste de la France idem pour l’alsace, comme la Russie et les USA donc c’est ce côté un peu taquin là oui. Après on est très ravi d’en rencontrer !

C’est la mentalité française vous savez. Chacun pour soi même en soum. Après ce n’est pas aussi mauvais que ça, des activités se font les après-midi en caf, d’autres préfères se reposer, d’autres révisent pour leurs C.E / C.S (certificats). On rigole beaucoup en sous-marin, on est joyeux et humoriste. À tables les secteurs restent entre eux (les transmetteurs entre eux, les atomiciens a une autre table, les hommes des sonars à une autre…). Les temps ont aussi changé, même si c’est très bien maintenant c’était quand même mieux avant.

Je dirais plutôt qu’on est d’abord sous-marinier (ou même SNListe). Ça se distingue carrément du titre classique de « militaire » ou de « marin ».

Dans cet ordre-là je dirais : cuisinier sous-marinier.

Chaque sous-marinier se doit de connaître le bord de la zone arrière à la zone avant même si bien souvent ce n’est pas évident et bien sûr que ça m’intéresse.

En général je connais un minimum sur la fonction de chaque homme à bord mais quand on est nouveau, c’est encore plus intéressant de savoir qui fait quoi et pourquoi.

Des mecs qui viennent des SNA s’intéressent naturellement à comment ça se passe ici à Brest. Moi j’aime bien m’intéresser aux premiers sous-marins français, aux actuels français, aux américains et au Belgorod russe.

Oui je souhaite continuer pour devenir meilleur, devenir cuisse 1, peut-être un jour atteindre les 20.000h heures de plongée.

Pour le moment la surface et les SNA ne m’intéresse pas, je suis très bien ici. J’ai encore beaucoup de monde à rencontrer et c’est super sur SNLE donc je ne compte pas quitter ça. La famille est plus proche de Brest que de Toulon, il y a aussi ce facteur qui rentre en compte.

Ce qui me manque le plus à bord c’est le soleil. Au moins, quand on revient, on le sent nous brûler la peau en contrepartie de nous aveugler (mdr) !

Frédéric, sur un SNA
Opération « Kessel » sur le Ouessant
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