Baptiser le bateau
La première tradition est tout naturellement le baptême du bateau lors de son lancement. Je passerai sur les personnalités qui ont sacrifié à cette tradition (comme ici Jackie Kennedy), mais plutôt sur son origine. Pendant l’antiquité, les Grecs, les Romains et les Égyptiens offraient des libations de vin et invoquaient les dieux pour les protéger lors de leurs voyages. Le vin a été moins utilisé à mesure que le christianisme se répandait et que les prêtres bénissaient le navire et le saupoudraient d’eau bénite. Les marins se rattrapaient après.
La tradition de casser une bouteille de champagne (première référence de ce vin en 1890) contre le flanc d’un navire est une continuation de l’ancien rite de sacrifice, qui a été transformé en un rituel inoffensif. Depuis le naufrage du Titanic en 1912, il est clair qu’aucun navire ne doit être lancé sans être baptisé. Avant le voyage inaugural du Titanic, les responsables de la compagnie maritime britannique White Star Line auraient ignoré le baptême avec l’argument de la fiabilité technique et banni la tradition au royaume de la superstition. Tout le monde sait comment s’est terminé le voyage du plus grand paquebot de l’époque. L’image cultivée dans le bris de la bonne bouteille est « l’acceptation du sacrifice », ce qui est évident pour tout le monde en particulier dans les Forces sous-marines. La marraine reçoit généralement le goulot de la bouteille sur une planche de bois en cadeau après la cérémonie. Si la bouteille ne se brise pas, le navire est considéré comme condamné. Mais comme on est tolérant, on a le droit à trois tentatives (après, c’est désespérant). On se remémorera toujours l’histoire de la bouteille qui refusa de se briser sur le K-19 soviétique, que l’on nommera plus tard Hiroshima ou pour le paquebot Costa Concordia (qui est devenu un submersible par la suite). Il y a aussi Mme Melvin R. Laird, épouse du secrétaire à la Défense, qui en 1969, balance la bouteille et rate l’USS Trepang (SSN-674). Ce même sous-marin fera l’objet d’une tentative de vol par des malfrats en 1978.
Traditionnellement, les sous-marins soviétiques étaient baptisés par des femmes. Pour le K-19, c’était un homme… De nos jours, les constructeurs de navires superstitieux déposent des bottes ou d’autres types chaussures dans les cloisons ou dans les entrailles inaccessibles afin que le navire puisse naviguer en mer sans problème. Pourquoi des tatanes ?
Dans certains pays, on n’utilise pas le champagne pour baptiser les bateaux. En témoigne le Type 209/1400 allemand S44 qui a été vendu à l’Egypte et baptisé à Kiel en 2020 avec une bouteille contenant de l’eau du Nil ou encore une bouteille de bière locale pour le HMS Artful (Classe Astute).
En Espagne, le vin rouge est très apprécié.
En Inde, on lance une noix de coco sur la poupe du sous-marin. Dans les pays arabes, on opte pour l’eau de la Mecque.
En Russie, on utilise le Champagne ou de la Vodka, mais le plus important, c’est de faire bénir le bateau et la bouteille de baptême par un ecclésiastique orthodoxe (comme en Grèce) ou un catholique dans les pays latins.
En Chine et au Japon, en revanche, le baptême et le lancement du navire symbolisent tous deux la naissance du navire. On tend alors une ligne (représentant le cordon ombilical) entre le navire et le rivage, Lorsque cette ligne est coupée (voir photo de la hachette ci-contre), une grosse boule de papier éclate, d’où s’élèvent des guirlandes et des ballons.
En Corée du Sud, c’est le ballon, les confettis et la bouteille. La totale ! Au Brésil et dans d’autres pays d’Amérique du Sud, on utilise parfois des canons à confettis (bien que pour le Riachuelo, on a préféré une bonne bouteille de champagne).
En France, lors du lancement du Suffren, le Président de la République a baptisé notre dernier fleuron en abaissant une manette de gaz. Tristounet. L’idée était peut-être de le mettre « en marche ! ». Il est vrai que casser une bouteille sur une coque de sous-marin devient de plus en plus difficile en raison du revêtement anéchoïde. Les organisateurs placent donc au niveau de l’impact calculé un objet métallique permettant à coup sûr de réussir son coup. Plus aucun suspens !