Chine

En 1973, Pierre Alain Peyrefitte écrivait un essai sous le titre « Quand la Chine s’éveillera… le monde tremblera » (Napoléon 1er en serait l’auteur). Quel titre prémonitoire ! En matière de force sous-marine, cette phrase prend là aussi tout son sens.

Une affiche de propagande représentant un sous-marin chinois recouvre un mur du port de Qingdao, dans la province du Shandong, en avril 2024. CRÉDIT IMAGE : REUTERS

Quand on pense à la Chine, on pense à un pays immense, qui a passé son temps à copier les technologies industrielles étrangères pour les améliorer, les produire à bas coût (grâce à une main d’œuvre docile et bon marché), à protéger son marché intérieur et à tout faire pour que l’on ne sache pas nécessairement ce qui s’y passe.  On se souvient également d’une grande famine entre 1958 et 1961 et d’une nation qui était capable de mobiliser toute sa population à vivre selon des priorités qui peuvent nous paraître idéalistes (tout le monde à la campagne, puis tout le monde produit de l’acier…). Les plus jeunes ont tout oublié et ne voient qu’une vaste nation où tous leurs téléphones hightech sont issus, des villes modernes où la pollution atmosphérique est omni présente.

Pour revenir à nos sous-marins et à la PLAN en général (People Libération Army Naval), on y retrouve toutes les caractéristiques précédemment énoncées. Dans les années 50, à la sortie de la guerre, la Chine n’a pas vraiment d’ennemis qui pourrait décider d’envahir son territoire. Il y aurait bien quelques soucis avec l’Inde et le Viêtnam, mais rien de bien méchant. Mais cela ne l’empêche pas de veiller au grain et de sécuriser ses frontières. Mais au-delà d’une possible menace, c’est surtout Taïwan qui l’empêche de dormir tranquille. Cette petite île s’est échappée de son giron et la Chine compte bien la récupérer. C’est le caillou dans la chaussure. Caillou qui reste à ce jour la cause des conflits probables en Asie du Sud-est.

Pour s’équiper de ses premiers sous-marins d’après-guerre, la Chine de Mao fait appel à la Russie en important des dizaines de Classe Romeo 033 puis en développant une variante locale 035 après la rupture des relations sino-soviétiques dans les années 1950. Mao ne supporte plus la domination soviétique de Staline et fait quelques tentatives de rapprochement avec les Etats-Unis.

Dans les années 70, la flotte de la PLAN connaît une forte croissance et la Chine développe ses premiers sous-marins à propulsion nucléaire (le Type 091) et se commence à travailler sur son premier SSBN, le Type 092. A cette époque, les velléités chinoises sont mineures et sa flotte a surtout des vertus défensives (en dehors du caillou dans la chaussure). Le premier objectif est la sauvegarde de l’intégrité du territoire national contre des agressions, soit la stratégie de défense côtière. C’est en 1982 que l’on y ajoute la « capacité de combat naval ». En découlent deux lignes directrices interdépendantes : « une orientation opérationnelle » et une « orientation de la construction ». On passe alors à des sous-marins plus modernes, plus lourds et mieux armés. En effet, la flotte chinoise palissait depuis le début de la comparaison avec la flotte américaine qui n’hésitait pas à faire profiter des Etats comme le Japon, la Corée du Sud ou encore Taïwan de ses avancées technologiques. Il fallait donc réagir rapidement pour être en capacité de répondre militairement dans les mers proches et pourquoi pas « gagner des guerres ».

On passe alors à des sous-marins plus modernes inspirés de la forme des unités américaines, comme la série des Type 039G et ses dérivés et à équiper de plus en plus les sous-marins d’une propulsion nucléaire. La Chine copie mais des problèmes persistent au niveau de la discrétion acoustique. Et ce sera principalement le cas pour les SSBN de 1ère et 2ème génération.

On observe un tournant avec l’arrivée au pouvoir du Président Xi Jinping en novembre 2012. Le « rêve chinois » a supplanté le « développement pacifique ». L’ambition est explicite : faire que la Chine redevienne une grande puissance d’ici le centenaire de la RPC, en 2049. On passe ainsi de la défense côtière à une combinaison de défense côtière et de protection des mers lointaines. Le livre blanc de 2015 met également l’accent sur la préparation au combat militaire et insiste en particulier sur le combat naval.

Pour répondre à cet objectif, la Chine déploie toutes ses capacités de production et se lance dès 2013 dans la série des Types 093. Chaque bâtiment diffère de ses précédents et il devient très difficile pour les autres nations de découvrir les capacités qu’ils recèlent. D’une capacité évidente à copier les technologies voisines, la Chine innove technologiquement. Les communications (vraies ou fausses) sur des nouvelles propulsions, sur des sous-marins inhabités à grande capacité, sur des SSBN futuristes (Type 098) sont légion. Difficile d’en connaître la teneur exacte, car les Chinois restent des champions de la désinformation.

En moins d’une décennie, la PLAN a ainsi radicalement changé d’envergure. Pendant cette même période, le budget militaire de la Chine a été multiplié par trois. Selon le gouvernement, son montant atteindrait désormais 142 milliards d’euros, ce qui en ferait le deuxième de la planète (quatre fois celui de la France). Des chiffres à manier avec précaution, toutefois, car ils ne comptabilisent pas les crédits accordés à la recherche et au développement. L’Institut de recherche international pour la paix de Stockholm, pour sa part, évalue le budget militaire chinois à plus de 175 milliards d’euros en 2016, soit 1,9 % du PIB. Si elle tente de réduire son écart capacitaire à marche forcée, la Chine reste très loin derrière les Etats-Unis, qui ont dépensé en 2018 l’équivalent de 570 milliards d’euros.

La construction navale militaire chinoise et l’ambition des marchés internationaux

Le secteur chinois de la construction navale militaire se structurait autour de deux conglomérats d’Etat, la China Shipbuilding Industry Corporation (CSIC) et la China State Shipbuilding Corporation (CSSC).

La CSIC se trouvait en situation monopolistique sur le segment des sous-marins à propulsion nucléaire, tandis que la CSSC détenait le monopole du segment des frégates et des pétroliers ravitailleurs. Pour assurer des cadences de production élevées, il est courant qu’un même type de navire soit produit simultanément dans différents chantiers navals, appartenant à l’un et l’autre des deux conglomérats.

En novembre 2019, le gouvernement chinois décide de réunir CSIC et CSSC au sein d’un même conglomérat (CSSC-CSIC). Il devient alors le premier constructeur mondial avec un chiffre d’affaires de 10 B$ dans le secteur de la défense navale. Une capacité qui lui permet de mettre un nouveau sous-marin à l’eau tous les trois mois !

En dépit de son entrée récente sur les marchés internationaux, les succès de la Chine dans le secteur des exportations de matériels militaires navals demeurent encore modestes. L’offre chinoise à l’export est pour le moment essentiellement constituée de navires légers même si les industriels chinois sont d’ores et déjà positionnés sur le segment des sous-marins.

Jusqu’à une époque récente, les exportations chinoises dans le domaine naval se limitaient au transfert de bâtiments retirés du service actif de la PLAN, comme les deux sous-marins classiques Type 035G au Bangladesh en 2016. Une source militaire locale a estimé le coût de chaque sous-marin à 100 millions de dollars, soit un dixième du prix d’un nouveau sous-marin européen. Par le passé, il y eut également la cession de sous-marins Type 033 (copie du Romeo) à son allié nord-coréen dans les années 1970.

Fondée en 2003, la filiale exportatrice de CSIC n’a obtenu sa licence d’exportation de matériels militaires qu’en 2009. C’est sur le chantier naval de Wuchang qu’a été lancée en septembre la construction du premier des trois sous-marins classiques S26T (version export du Type 039A), destinés à la marine thaïlandaise. Une source gouvernementale thaïlandaise a déclaré que chaque sous-marin coûterait environ 424 millions de dollars. La CSOC a récemment renforcé son positionnement sur le segment des sous-marins en proposant trois modèles à l’export : le MS200, le S600 et le S1100. Elle a par ailleurs conclu un accord avec le Pakistan pour la construction de huit S20 (équivalent du Type 039A), dont quatre seront assemblés au Pakistan.

Les pays acheteurs doivent également installer des installations de réparation et d’approvisionnement conformes aux spécifications requises pour la manutention des sous-marins chinois. Cela donne à la Chine la possibilité de demander que ses sous-marins soient autorisés à y accoster temporairement pour des réparations ou pour recharger des armes. Plus la Chine vendra de sous-marins aux pays de la région, plus elle accumulera de données relatives aux opérations et aux dysfonctionnements susceptibles d’être utilisés pour améliorer la technologie des sous-marins, ont déclaré des experts. Une fois le sous-marin acheté, le pays en question doit s’appuyer sur les officiers et les techniciens de la marine chinoise pour obtenir des instructions sur la conduite du navire. Ce personnel pourrait également jouer un rôle clé dans la collecte d’informations vitales, notamment la cartographie des fonds marins, alors que la Chine s’efforce d’améliorer ses capacités sous-marines.

L'équipe de vente
Nouvel hangar d’assemblage en construction (BSHIC)
Chantier naval chinois Bohai Shipbuilding Heavy Industry Company

Aujourd’hui, l’offre export chinoise se limite au sous-marin d’attaque conventionnel Type S20. Malgré la volonté des autorités chinoises de se positionner sur les grands marchés internationaux, le S20 et ses dérivés (Classe Kylin, S26T) n’intéresserait à ce jour que les clients historiques de Pékin (Pakistan, Bangladesh).

Alors, pour gagner des parts de marché, les constructeurs chinois tentent de diversifier leur offre en proposant, outre la vente de navires, des services de formation des marins (les sous-mariniers thaïlandais par exemple), du transfert de technologie et de savoir-faire en réalisant une partie des contrats sur les chantiers navals des clients (sous-marins S20 au Pakistan), des conditions de garantie et de maintenance avantageuses (S26T à la Thaïlande), ainsi que de l’aide à la gestion et la modernisation de chantiers navals (Port Harcourt au Nigéria et Karachi au Pakistan).

Cette stratégie pourrait permettre à la Chine de prendre à moyen terme des parts de marché plus importantes et de renforcer son influence politique avec le Pakistan, le Sri Lanka, le Bangladesh, le Myanmar, la Malaisie et la Thaïlande (voire les Philippines dans d’autres secteurs de défense).

Fin 2017, le chantier naval chinois Bohai Shipbuilding Heavy Industry Company (BSHIC) devait achever la construction de la plus grande usine du monde dans la province de Liaoning, au bord de la mer Jaune. À l’intérieur de cette gigantesque bâtisse couverte, Pékin compte construire des sous-marins nucléaires à une cadence élevée.

L’usine occupera un territoire immense où les sous-marins seront bien protégés contre l’espionnage et les observations satellites. L’atelier de montage sera équipé de grues de hissage pour monter des modules de sous-marins et de rails pour déplacer des sections entières sur la chaîne de montage.

L’atelier de fabrication est assez spacieux pour accueillir deux lignes de production en parallèle. La moitié de chacune de ces lignes sera utilisée pour assembler et ajuster des modules de sous-marins. La deuxième moitié servira pour la finition des bâtiments. L’espace suffira pour construire quatre sous-marins en même temps.

Selon les premières informations, l’usine servira principalement à la production de sous-marins du Type 095.

En même temps, la Chine a déménagé son chantier de construction à Wuhan qui était installé dans le centre-ville pour le délocalisé en périphérie. On estime qu’ils pourraient y construire près de huit sous-marins en même temps !

La nouvelle gamme destinée à l'exportation

La Chine a également construit la plus grande base de sous-marins en Asie, à Yulin, avec une volonté de l’utiliser (elle comporte un tunnel sous-marin) pour envoyer discrètement ses engins en échappant à la surveillance satellite (d’où le besoin d’un système de propulsion furtif). Elle est, entre autres, constituée de deux quais de 900 m et trois autres plus petits, de gigantesques tunnels et de cavernes dotés des infrastructures nécessaires pour dissimuler une flotte de sous-marins nucléaires des regards indiscrets de satellites espions adverses et muni d’un système de démagnétisation.

Elle pourrait accueillir jusqu’à 20 sous-marins dont les sous-marins nucléaires d’attaque du Type 093 (Classe Chang) et les sous-marins nucléaires lanceur d’engins (SNLE) 094 Jin, capables de lancer des missiles Julang-2 d’une portée évaluée à 8.000 km.

Dire que la Chine se prépare à se doter d’une Force sous-marine capable d’assoir sa suprématie en mer de Chine est un euphémisme. Mais les nations limitrophes qui contestent certaines zones maritimes la laisseront-elle faire ? C’est un autre problème.

Mais si la Chine déploie une armada de sous-marins dans cette mer de Chine, il est à se demander si les sous-mariniers tiendront la cadence. En en effet, une étude récente réalisée par des chercheurs de l’Institut de gestion de la santé militaire de l’Université de médecine navale de Shanghai a découvert qu’un cinquième des équipages souffre de maladies mentales. 108 des 511 enquêtes menées auprès de sous-mariniers chinois dans la mer de Chine méridionale ont montré des signes de troubles psychologiques allant de la dépression et de l’anxiété à l’hostilité En cause, la fréquence et la durée des patrouilles… Pour la Chine, les évaluations psychologiques n’ont été incluses dans le processus de recrutement militaire qu’en 2006, et les services de santé mentale pour les troupes chinoises sont toujours en cours.

La base navale de Yulin
Des zones maritimes très contestées (Southchinasea.org)

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