FRANCE

Contexte géostratégique

Depuis 1968, la politique française décidée par le Général de Gaulle en matière de dissuasion nucléaire repose sur trois fondements :

  • S’assurer que la sécurité de la France ne puisse être remise en cause par une autre nation,
  • S’assurer d’une totale liberté d’action face à d’autres acteurs régionaux,
  • Contribuer à la sécurité de l’Europe et de l’Alliance Atlantique.
Illustration David Morel (800tonnes.com)
Illustration David Morel (800tonnes.com)

Cette politique est toujours d’actualité et réaffirmée par tous les Présidents qui lui ont succédé. Le fait que toutes les autres nations sachent que la chaîne de commandement est hautement sécurisée et que la notion de « contrordre » est impossible renforce l’efficacité de cette dissuasion (cf. La dissuasion nucléaire française en action de Philippe Wodka-Gallien).

Mais la Force sous-marine française ne se limite pas à la dissuasion et il lui importe de pouvoir être présent sur tous les théâtres d’opération où les enjeux nationaux sont présents. Et cette zone est vaste si on considère que nos compatriotes sont présents dans toutes les mers du monde (Méditerranée, Atlantique, Océan indien et Océan Pacifique). Sans oublier nos alliances stratégiques avec d’autres états (Inde, Australie, USA, Japon, Malaisie, Singapour, Nouvelle Zélande, Indonésie et Vietnam. Il y a aussi les zones de conflit à surveiller et où les opérations de renseignement sont stratégiques. Il ne faut pas moins de quatre SNLE (SSBN) pour maintenir cette permanence dissuasive (CASD : Continuous At Sea Deterrrence) et six SSN (SNA) pour les autres opérations militaires. Un strict minimum qui ne laisse pas le droit à l’erreur (l’incendie en juin 2020 de la Perle (S606) en souligne déjà la limite).

L’ensemble de cette force sous-marine est sous la direction de la FOST (Force Océanique et Stratégique) et de ses 3.000 hommes et femmes qui la composent. Comme unique fournisseur de cette flotte sous-marine, la société Naval Group (qui a changé de nom à plusieurs occasions) et ses partenaires stratégiques (TechnicAtome, Safran, Thales, etc.).

Des territoires à défendre
La dissuasion à la française...

Naval Group est un groupe industriel français spécialisé dans l’industrie navale de défense et les énergies marines renouvelables. Le groupe emploie près de 15.000 personnes en 2019 à travers dix-huit pays.

En 1624, le cardinal de Richelieu définit une politique navale qui prévoit de développer les arsenaux afin de donner à la France une puissance maritime capable de rivaliser avec celle de la Grande-Bretagne. Mais l’origine de Naval Group date plus certainement de 1946 où un état des lieux des arsenaux français vient compléter le décret de 1927 concernant les attributions des différents sites : Cherbourg est désigné pour la construction des sous-marins, Toulon pour la réparation et de l’entretien de la flotte et Gassin pour la production de torpilles. En 1958, le lancement officiel par le général de Gaulle programme nucléaire militaire français et de la politique de la dissuasion amorce une restructuration de la base industrielle et technologique de défense. Le projet Cœlacanthe réunit ainsi l’état-major de la marine, la DCCAN et le CEA et aboutira à la mise en service en 1971 du Redoutable, premier sous-marin nucléaire lanceur d’engins français.

Jusqu’en 1961, la Marine nationale assure elle-même l’entretien et la réparation de sa flotte par l’intermédiaire de la Direction centrale des Constructions et Armes navales (DCCAN) et ses Directions des constructions et armes navales (DCAN) des différents arsenaux. A cette date, les arsenaux sont détachés de la responsabilité unique de la Marine (Direction centrale des Constructions et Armes navales – DCCAN) pour passer sous celle de la délégation ministérielle pour l’Armement (DMA. En 1965, nouvelle dénomination, les arsenaux métropolitains et d’outre-mer dépendent désormais d’une direction unique, la direction technique des constructions navales (DTCN), relevant toujours directement de la DMA. En 1977, la DMA devient la Délégation générale pour l’armement (DGA).

Dans les années 1970, le contexte économique international et la décolonisation conduisent la DCAN à se développer sur de nouveaux marchés. À la perte des arsenaux d’outre-mer s’ajoutent des besoins de la Marine française en navires désormais moins importants, et les crédits se font moins faciles à obtenir. Cette dynamique s’accélère encore à la fin de la guerre froide. Mais, au-delà des carnets de commandes, c’est en fait le statut étatique de la DCAN qui est peu à peu remis en cause, étant considéré comme une contrainte administrative pour le développement du potentiel des arsenaux français.

La DCAN a remporté ses premiers contrats à l’international dès la fin des années 1960 (Portugal, Afrique du Sud, Pakistan et Espagne) grâce à son sous-marin d’attaque conventionnel de Type Daphné. En 1991, la Direction des Constructions et Armes Navales (DCAN) change de nom et devient la Direction des constructions navales (DCN) ; la même année, DCN international est créée. Cette société anonyme a pour vocation de promouvoir à l’international les activités de la DCN et de faciliter l’export de ses productions. En 1992, les activités étatiques de la DCN sont rattachées au Service des Programmes Navals (SPN), qui a pour mission la maîtrise d’ouvrage des navires destinés à l’Armée française. Désormais, la DCN n’est plus chargée que des seules activités industrielles, tout en restant maintenue au sein de la DGA. Ce changement de statut permet à DCN International, à la fin des années 90, d’accompagner commercialement et juridiquement la DCN dans le développement de ses offres à l’international.

Cette stratégie de développement portée par DCN International se traduit par la signature de plusieurs contrats majeurs. En 1994, trois sous-marins Agosta sont livrés au Pakistan, et en 1997, deux sous-marins Scorpène sont produits pour le Chili. En 2002, un contrat pour deux sous-marins Scorpène est signé avec la Malaisie.

Enfin, en 2001, le gouvernement français décide de transformer la DCN en entreprise anonyme de droit privé, dont l’État possèderait la totalité du capital. En 2003, le changement de statut est effectif : la DCN devient DCN, qui ne signifie plus dès lors « Direction des Constructions Navales ». En 2007, le groupe acquiert la branche activités navales France de Thales. Thales entre au capital du groupe à hauteur de 25 % (puis à 35%, et DCN devient DCNS, le S adjoint faisant référence aux Services et à l’expertise dans les Systèmes. Afin d’améliorer sa performance pour répondre à ses ambitions de croissance, DCNS se concentre notamment sur : l’innovation, l’internationalisation et le développement responsable (qui donnera le Projet SEPIA).

Les contrats passés avec les marines internationales permettent à DCNS de s’implanter dans leurs pays respectifs : la filiale DCNS India est ainsi créée en 2008 un partenariat avec les chantiers publics MDL (Mazagon Dock Ltd). De même, en 2013, est inauguré un site de construction de sous-marins au Brésil. En avril 2016, l’Australie annonce que son contrat de construction de douze sous-marins de 4.000 tonnes (Classe Attack) pour un montant total de 34,3 milliards d’euros est remporté par DCNS.

Le 28 juin 2017, DCNS change de nom et devient Naval Group, pour le 400ème anniversaire de l’entreprise sous la direction d’Hervé Guillou (qui aura la gentillesse de préfacer mon livre). Le 14 juin 2019, une « joint-venture » (Projet Poséidon) est signée avec Fincantieri visant à répartir leurs activités (Naval Group étant plus orienté vers les sous-marins et l’Italien vers des unités de surface) et éviter ainsi de se mettre en concurrence sur les appels d’offres à l’international. Cette JV n’intégrerait pas de participations croisées.

En novembre 2019, présenté comme une première mondiale, Naval Group a dévoilé un nouveau système de propulsion anaérobie (AIP) associant deux technologies de rupture protégées par 70 brevets. Il permet de fabriquer de l’hydrogène et de l’air à bord d’un sous-marin pour faire fonctionner une pile à combustible. L’hydrogène qui fait fonctionner la pile à combustible est fabriqué à bord via un processus chimique de reformage du gazole. Cela permet d’éviter les problèmes de sécurité liés au stockage de l’hydrogène à bord. Qui plus est, le gazole est disponible partout et à moindre coût. Ce module peut être intégré à de nombreux sous-marin étrangers dans le cas d’une modernisation.

Avant l’avènement d’une offre Scorpène uniquement dédiée aux marchés export, DCNS a remporté ses premiers contrats à l’international dès la fin des années 1960 (Portugal, Afrique du Sud, Pakistan et Espagne) grâce à son sous-marin d’attaque conventionnel de Type Daphné. Vendu à quize exemplaires, le Type Daphné était également en service dans la Marine française. Dans les années 1970, la Marine nationale a progressivement remplacé ses Daphné par des sous-marins d’attaque conventionnels Type Agosta 70 (commandés par l’Espagne et le Pakistan). Ceux-ci ont dès lors constitué l’offre export de Naval Group jusqu’au développement d’une version améliorée, l’Agosta 90B, notamment dotée d’un système AIP (exporté au Pakistan).

Au plan stratégique, Naval Group a très rapidement accompagné ses clients historiques (Espagne et Pakistan) pour la production, avec assistance, des Type Daphné, puis Agosta 70. Ainsi, dès 1968, Naval Group a accordé à l’Espagne l’autorisation de produire sous licence (avec assistance française) quatre unités. Ce schéma sera par la suite reproduit à la fin des années 1970 dans le cadre de la construction des quatre Agosta 70 espagnols (Classe Galerna). Au Pakistan, dans le cadre de l’acquisition en 1994 de trois Agosta 90B, les chantiers de Karachi, avec assistance Naval Group, ont réalisé l’assemblage des deux dernières unités (tête de série produite à Cherbourg). Pionnier en matière de coopération industrielle et technologique, Naval Group a, en sus de cet accord, autorisé son partenaire pakistanais à assurer la promotion de l’Agosta 90B sur les marchés export. Conclu au milieu des années 1990, ce partenariat incarnait l’occasion pour Naval Group d’occuper le haut du segment avec son offre franco-espagnole Scorpène, tout en conservant une offre d’entrée de gamme relativement compétitive face au Type 209 de TKMS.

Lancé dans les années 1990 afin de remplacer la famille Agosta, le programme Scorpène a fait l’objet d’un co-développement et d’une co-production avec le groupe public espagnol Navantia. Cette coopération devait permettre à l’Armada de remplacer ses Agosta 70 et assurer la montée en compétence des chantiers espagnols. En contrepartie, Navantia devait contribuer à l’élargissement du portefeuille de prospects de Naval Group, jusqu’ici limité à l’Espagne et au Pakistan (l’Afrique du Sud et le Portugal s’étant depuis tournés vers TKMS). En 1997, l’alliance Naval Group-Navantia a remporté au Chili le marché Neptuno (deux Scorpène, ~400 M€). D’après la presse spécialisée française, en vertu de leur accord, Naval Group a réalisé 60% des plateformes, ainsi que la partie avant et l’assemblage du premier de la série, tandis que Navantia effectuait 40% du travail, la partie arrière, et l’assemblage de la seconde unité.

Amorçant une dynamique positive sur le grand export (marché européen dominé par TKMS), Naval Group et Navantia se sont vu notifier, en 2002, en Malaisie, un contrat d’environ 1,4 milliards d’€ portant sur la fourniture de deux Scorpène. Trois ans plus tard, en 2005, Naval Group et Navantia étaient sélectionnés par les autorités indiennes pour la fourniture de six Scorpène (dont deux dotés de l’AIP MESMA), avec transfert de technologies (programme P-75). Cependant, dès 2008, le site de Mer et Marin a révélé que Naval Group s’est trouvé contraint de dénoncer son alliance en raison du développement par Navantia d’un programme concurrent (S-80). Depuis 2010, la commercialisation et la construction des sous-marins Scorpène sont uniquement effectuées par Naval Group.

Comparé à TKMS, Naval Group apparaît moins présent à l’export. Toutefois, cette situation tend à évoluer. Ainsi, sa part export, estimée à 26% du CA en 2006, atteint près de 40% du CA en 2013, illustrant le rééquilibrage en cours de son mix-commercial. A cet égard, l’activité « sous-marin » a connu un fort dynamisme sur la période 2000-2014, Naval Group captant une part de marché de 17% (trois Etats-clients, douze unités), principalement en Amérique du Sud (Brésil) et en Asie (Inde, Malaisie).

Alors que l’Allemagne montre une prudence certaine quant à l’établissement d’un cadre global de coopération défense-armement avec des pays cibles, affaiblissant la position de TKMS auprès de certains prospects, Naval Group bénéficie pour sa part du soutien de l’Etat français, par le biais de la signature de partenariats stratégiques globaux (Inde en février 2006, et Brésil en 2008).

Par ailleurs, soumis aux mêmes contraintes que TKMS en matière d’offsets, Naval Group accompagne la montée en compétence de ses clients exports « émergents » (construction locale, transfert de technologies et de savoir-faire) : « Nous transférons également notre ndsow-how (notre savoir-faire, NDLR) en matière de conception de base. […] Sans ce transfert de technologie, il n’y aurait pas eu de contrat » (P. Boissier, 2013).

Au Brésil, Naval Group a remporté le marché PROSUB (~6,7 milliards d’€) en décembre 2008. En partenariat avec le conglomérat Odebrecht, dans le cadre de la JV Itaguai Construcoes Navais (ICN), Naval Group co-réalisera quatre Scorpène, et assistera le groupe brésilien dans la conception d’un SNA (hors partie nucléaire). D’après Mer et Marine et DefesaNet, une partie de la tête de série sera produite à Cherbourg (sections avant S3 et S4), tandis que les industriels brésiliens assureront la production de la partie arrière. Les bâtiments 2 à 4 seront pour leur part réalisés localement grâce à un transfert de technologies. En parallèle, Naval Group se chargera, dans le cadre d’un transfert de savoir-faire, de la formation de plus de 150 ingénieurs et techniciens brésiliens, et assistera Odebrecht dans la construction du site industriel de construction près de Rio de Janeiro.

En Inde, Naval Group est, de facto, partenaire des chantiers publics MDL (Mazagon Dock Ltd) en l’absence d’autre acteur local capable de réaliser ce Type d’opération. D’un montant initial de 3,6 milliards d’€, le programme P-75 prévoit la construction locale en ToT (transfert de technologie) de six Scorpène. A l’image de PROSUB, Naval Group-Cherbourg est chargé de construire les équipements complexes intégrés aux bâtiments. Concomitamment, Naval Group a ouvert une filiale indienne dans le domaine des services afin d’assurer la formation des équipes locales, le support technique et le contrôle qualité (équipements et procédés de fabrication).

En Malaisie, Naval Group et son partenaire local Boustead ont fondé la JV Boustead Naval Group Naval Corporation SDN BHD (49/51%) dédiée à la maintenance et au soutien opérationnel des deux Scorpène.

Enfin, au sein des pays qui envisagent de moderniser leur flotte, Naval Group a noué, en amont, des partenariats stratégiques avec des chantiers locaux (SMW Gdynia, Pologne).

Alors que ces deux dernières années, TKMS a proposé des designs visant à compléter sa gamme par le haut, Naval Group voit son catalogue export uniquement structuré autour de l’offre Scorpène, et Scorpène MESMA (AIP) et bientôt du Pro­gramme Barracuda (Programme global de construction de la Classe Suffren, Attack, le futur SNLE3G et ses infrastructures logistiques). Pouvant apparaître limitée par comparaison à l’offre-export TKMS, le sous-marin Scorpène bénéficie selon Mer et Marine des retours d’expérience liés au développement des SNA et SNLE Type Rubis et Le Triomphant. Par ailleurs, face à la multiplication d’offres concurrentes portant sur des plateformes d’une taille plus conséquente (Type 216, KSS-III sud-coréen, S-80), voire d’offres d’entrée de gamme (Chang-Bogo sud-coréen, Type 209 turc, ou S-1000 italien), Naval Group a présenté lors du Salon Euronaval 2014 son concept SMX Ocean de 4.700t. Pour Navy Recognition, à l’image du Scorpène dans les années 1990, ce design pourrait tirer profit des avancées technologiques issues du programme Barracuda, et bénéficier d’un spectre complet de capacités d’engagement (34 armes). Permettant de compléter son offre de sous-marins d’attaque conventionnels par le haut, le Projet SMX Ocean devait alors se positionner en principal concurrent du Type 216 de TKMS avant que ce dernier soit abandonné.

En mai 2019, et selon certaines sources, si la situation financière venait encore à se dégrader, TKMS pourrait être démembré et il n’est un secret pour personne que Naval Group serait intéressé pour reprendre son activité navale. De cette manière, Naval Group, renforcé et par cette acquisition allemande, et par son partenariat avec Fincantieri (Projet Poséidon), deviendrait un groupe dont la puissance pourrait rivaliser avec la Chine, la Russie et les Etats-Unis. Mais pour l’instant, TKMS tient encore le coup. Et quand on interroge Naval Group, la réponse est « On ne discute pas avec les Allemands ! », mais « on se doit d’être attentif à toute op­portunité… ».

En mars 2020, Pierre-Eric Pommellet (ex. N° 2 de Thales) prend la suite d’Hervé Guillou (qui part à la retraite) au poste de PDG du Groupe. Il aura pour mission de poursuivre l’action de son prédécesseur qui a fait de Naval Group une fierté nationale et un futur très grand acteur mondial.

Il aura fort à faire avec la crise provoquée par l’annulation du Programme Attack avec l’Australie.

Hervé Guillou
Pierre Eric Pommelet (Pdt actuel de Naval Group)

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