La perte de l'USS Scorpion

(22 mai 1968)

sous-marin de la Classe Skipjack, l’USS Scorpion (SSN-589), sombre le 22 mai 1968 sur le chemin de retour d’une mission en mer Méditerranée. Les circonstances ayant conduit à la perte du bâtiment ne sont aujourd’hui pas complètement éclaircies. L’ensemble de l’équipage de 99 hommes disparait dans le naufrage. L’épave, qui a été retrouvée au bout de cinq mois de recherches, se trouve à une profondeur de 3.300 mètres non loin de l’archipel des Açores.

Contexte

Fin octobre 1967, l’USS Scorpion entame une série de tests de perfectionnement à l’usage de nouveaux systèmes d’armes et reçoit un nouveau commandant, Francis Slattery. À l’issue de cette formation, menée au large de Norfolk, il est envoyé le 15 février 1968 en mer Méditerranée pour une nouvelle mission. Il opère au sein de la VIe flotte au mois de mai avant de prendre le chemin du retour vers son port d’attache. Le Scorpion subit plusieurs dysfonctionnements mécaniques parmi lesquels une fuite chronique de gaz fréon à partir des systèmes de réfrigération. Un incendie d’origine électrique se déclare dans un tuyau d’échappement après qu’une fuite d’eau eût court-circuité une alimentation électrique alors que le bâtiment était à quai. Il est cependant à noter que les fuites de vapeur ne sont pas rares sur sous-marins nucléaires d’attaque déploiements, y compris au XXIème siècle. Il n’existe aucune preuve que la vitesse du Scorpion ait été limitée à partir de mai 1968, même si de manière prudente il évitait de plonger à une profondeur supérieure à 150 m, en raison de la mise en œuvre incomplète des contrôles et modifications de sécurité prévues à la suite de la perte du Thresher en avril 1963.

Quittant la Méditerranée le 16 mai, deux hommes quittent le Scorpion à Rota en Espagne, l’un pour une urgence familiale et l’autre (Joseph Underwood) pour des raisons de santé. Des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins américains opéraient à partir de la base navale américaine de Rota et il est probable que l’USS Scorpion couvrait la signature acoustique de l’USS John C. Calhoun. Les deux bâtiments entrant au même moment dans l’Atlantique en passant par le détroit de Gibraltar, l’objectif était de masquer la sortie du SSBN de la méditerranée alors que des sous-marins d’attaque soviétiques essayeraient de détecter et de suivre le sous-marin nucléaire lanceur d’engins américain. Ce jour-là, deux sous-marins d’attaque soviétique de la Classe November, pouvant naviguer jusqu’à 32 nœuds, étaient en effet en embuscade. Le Scorpion est ensuite envoyé pour observer des activités navales soviétiques dans l’Atlantique à proximité des Açores. Un sous-marin soviétique de la Classe Echo-II opérait avec ce détachement russe ainsi qu’un destroyer lance-missiles. Ayant observé et écouté les unités soviétiques, le Scorpion s’apprête à retourner à la base navale de Norfolk.

La disparition

Pendant près de 24 heures, entre le 20 et le 21 mai, le Scorpion tente d’envoyer des messages radio à la base navale de Rota en Espagne sans succès et ne parvient pas à joindre qu’une station de communication de la Navy (Nea Makri), en Grèce, qui transfère les messages du Scorpion au ComSubLant. Le Lieutenant John Roberts reçoit le dernier message du commandant Slattery, indiquant qu’il se rapprochait du groupe naval soviétique à une vitesse constante de quinze nœuds et à une profondeur de 107 m pour surveiller la flotte soviétique. Six jours plus tard, les médias annoncent que le Scorpion ne s’est pas présenté à sa base de Norfolk.

 

Illustration David Morel (800tonnes.com)

Les recherches

L’US Navy redoute une possible perte du bâtiment et lance une opération de recherche.

L’USS Scorpion et son équipage sont déclarés « présumés perdus » le 5 juin. Son nom est retiré du Naval Vessel Register le 30 juin. Les recherches se poursuivent avec une équipe de mathématiciens conduite par le Dr John Piña Craven, responsable de la Division des Projets spéciaux de l’US Navy. Ils utilisent des méthodes de recherche fondées sur le théorème de Bayes, développées initialement pendant les opérations de recherche de la bombe à hydrogène perdue au large de Palomares, en Espagne, en janvier 1966 à la suite de la dislocation en vol d’un B-52.

Certains rapports indiquent qu’une importante opération secrète de recherche avait été lancée trois jours avant le retour de patrouille programmé du Scorpion. Cette information, combinée à d’autres informations déclassifiées, laisse penser que l’US Navy était au courant de la perte du Scorpion avant que l’opération de recherche publique ne soit lancée.

À la fin du mois d’octobre 1968, le navire de recherche océanographique de l’US Navy, Mizar, localise des sections de la coque du Scorpion au fond de l’océan, à 740 kilomètres au sud-ouest des Açores et à 3.000 m de profondeur. La Navy avait auparavant publié les enregistrements sonores réalisés par le système d’écoutes sous-marines SOSUS confirmant la destruction du Scorpion. Une commission d’enquête est de nouveau constituée et d’autres navires, parmi lesquels le bathyscaphe Trieste II, sont envoyés sur zone pour collecter des données et prendre des photos de l’épave.

Bien que le Dr Craven se soit vu attribuer la localisation de l’épave du Scorpion, la contribution de Gordon Hamilton, un expert acoustique pionnier dans l’utilisation de matériel hydroacoustique pour repérer les points d’impact en mer de missiles Polaris, a été déterminante et a permis de délimiter une « zone de recherche » réduite à l’intérieur de laquelle l’épave sera retrouvée. Hamilton établit une station d’écoute aux îles Canaries, il isole un signal clair que certains scientifiques analyseront comme étant le bruit émis par l’implosion de la coque alors que le bâtiment franchissait sa profondeur d’écrasement. Chester « Buck » Buchanan, un scientifique du Naval Research Laboratory, localisera finalement l’épave le 29 octobre 1968, à l’aide de barges submersibles trainées par le Mizar et équipées de caméras. Buchanan avait déjà localisé l’épave du Thresher en 1964 en utilisant cette technique.

Le navire de recherche USNS Mizar
Trieste II
Les espoirs s'amenuisent

Dégâts observés

Il apparaîtra que la section avant du Scorpion a dérapé lors de l’impact sur la vase de Globigerina recouvrant le plancher océanique, creusant une importante tranchée. Le massif s’est désolidarisé de la coque, après désintégration du PCNO, et s’est couché à bâbord de l’épave. L’un des feux de position du Scorpion est retrouvé en position ouverte comme si le sous-marin avait été à la surface au moment de l’accident ; cela, dit-il, est possible que ce feu ait été laissé en position ouverte lors de l’escale de la nuit que le bâtiment a effectuée à Rota. Un des pilotes du Trieste II qui explora le Scorpion avance une autre hypothèse en indiquant que le choc de l’implosion pourrait avoir placé le feu en position ouverte.

L’enquête de l’US Navy – qui se basera sur un grand nombre de documents photographiques, vidéos et sur les témoignages des équipages du USS Trieste envoyés examiner l’épave en 1969 – conclura que la coque du Scorpion avait implosé au moment où le bâtiment avait franchi sa profondeur d’écrasement. Le Structural Analysis Group constata que le compartiment des torpilles était intact, bien qu’il ait été déconnecté du PCNO par la pression hydrostatique considérable à cette profondeur. Le poste de commandement lui-même était en grande partie détruit par la pression, la salle des machines avait pénétré de quinze mètres dans la coque.

Le seul dégât subi par le compartiment des torpilles semble avoir été une trappe manquante sur l’un des tubes. Palermo souligne que cette trappe s’est probablement détachée sous la pression de l’eau qui est entrée dans la salle des torpilles au moment de l’implosion.

Entregistrement audio de l'implosion
Proue de l'USS Scorpion contenant deux torpilles nucléaires, photographiée en octobre 1986
Poupe de l'USS Scorpion, photographiée en octobre 1986
Massif de l'USS Scorpion, photographiée en octobre 1986

L’enquête de l’US Navy

Peu de temps après le naufrage, l’US Navy convoque une commission d’enquête pour comprendre l’accident et publier un rapport sur les causes probables du naufrage. Cette commission est présidée par le vice-Amiral Bernard L. Austin, qui avait déjà présidé la commission chargée d’enquêter sur la perte de l’USS Thresher. Les conclusions de la commission sont rendues en 1968, mais ne sont pas rendues publiques. Les responsables de la Navy citent alors une partie du rapport de 1968 affirmant qu’il était impossible de déterminer de manière « concluante » les causes de la perte du Scorpion.

L’administration Clinton déclassifie une grande partie du rapport en 1993 et c’est à cette date que l’opinion publique découvre que la commission d’enquête avait considéré le dysfonctionnement d’une des torpilles du Scorpion comme cause possible du naufrage.

Une analyse plus poussée, de plus d’un an, des signaux hydroacoustiques relatifs au naufrage du sous-marins (qui avaient été collectés par Gordon Hamilton) est ensuite menée par le Naval Ordnance Laboratory par trois physiciens experts en explosions sous-marines, sur leurs signatures sonores et leurs effets destructifs. Leurs conclusions, qui seront présentées à l’US Navy dans le cadre de la phase II de l’enquête, indiquent que le bruit enregistré a probablement eu lieu lorsque la coque a cédé à une profondeur de 600 m. Les fragments et débris ont ensuite poursuivi leur chute sur près de 2.800 m. Ces conclusions diffèrent de celles tirées par Craven et Hamilton, qui estimaient que le sous-marin avait explosé par l’action d’une torpille.

Le Groupe d’analyse structurelle (Structural Analysis Group – SAG) conclut que la survenance d’une explosion est improbable, et rejette de manière catégorique les tests menés par Craven et Hamilton. Les physiciens du SAG se basent sur l’absence d’une bulle de gaz, qui se produit invariablement lors d’une explosion sous-marine, et affirme qu’il s’agit de la preuve absolue qu’aucune explosion de torpille ne s’est produite à l’extérieur ou à l’intérieur de la coque. Craven a tenté de démontrer que la coque du Scorpion avait pu « avaler » la bulle créée par la détonation de la torpille en demandant à Gordon Hamilton de déclencher de faibles charges à proximité de conteneurs en métal remplis d’air. Il est à noter que l’explosion survenue lors du naufrage du K-141 Kursk le 12 août 2000, a éventré sa coque et émis une énorme bulle de gaz qui a été enregistrée par plusieurs géophones à travers l’Europe. Le K-141 Kursk avait une coque deux fois plus grande que celle du Scorpion, ce qui laisse penser que même une coque importante ne pouvait pas absorber la bulle.

Dans sa « lettre » de 1970, le Naval Ordnance Laboratory sur l’étude acoustique des sons de la destruction du Scorpion par Price et Christian, vient en soutien du rapport du SAG. Dans ses conclusions et recommandations, l’étude acoustique du Naval Ordnance Laboratory déclare : « Le premier événement acoustique du Scorpion n’a pas été causé par une forte explosion, qu’elle soit interne ou externe à la coque. La profondeur probable de l’événement… et les caractéristiques spectrales du signal viennent le confirmer. En réalité, il est peu probable que l’un des événements acoustiques du Scorpion ait été causé par des explosions. »

Le Naval Ordnance Laboratory fondera une grande partie de ses conclusions sur une vaste analyse acoustique du torpillage et du naufrage de l’USS Sterlet dans le Pacifique début 1969, cherchant à comparer les signaux acoustiques enregistrés à cette occasion à ceux générés par le Scorpion.

L’étude acoustique du Naval Ordnance Laboratory fournit une explication (sujette à controverse) sur l’enchaînement qui pourrait avoir conduit le Scorpion à atteindre sa profondeur d’écrasement en faisant référence de manière anecdotique à l’incident qui avait failli causer la perte du sous-marin diesel USS Chopper (Classe Balao) en janvier 1969, lorsqu’un problème d’alimentation l’a conduit à plonger pratiquement jusqu’à sa profondeur d’écrasement (300 m), avant de pouvoir finalement refaire surface.

Cependant, dans le même extrait de la lettre N77 de mai 2003, la déclaration suivante semble écarter la théorie du Naval Ordnance Laboratory, et pointer sans équivoque vers une explosion à l’avant du sous-marin : « La Navy a étudié en détail la perte du Scorpion à travers la commission d’enquête initiale et les rapports de 1970 et 1987 par le Groupe d’analyse structurelle. Rien dans ces enquêtes n’a conduit la Navy à revoir ses conclusions voulant qu’un événement catastrophique inexpliqué se soit produit. »

En novembre 2012, l’US Submarine Veterans, une organisation regroupant 13.800 vétérans des forces sous-marines américaines, demande à l’US Navy de rouvrir l’enquête sur les causes de la perte de l’USS Scorpion. La Navy refusera cette demande. Une organisation privée, comprenant des proches des sous-mariniers disparus déclare alors qu’elle mènerait sa propre enquête, l’épave étant située dans les eaux internationales.

Théories sur la perte du Scorpion

La commission d’enquête de l’US Navy cite l’activation accidentelle des batteries d’une torpille Mark 37 comme une cause possible de l’explosion. Le système de propulsion de cette torpille à guidage acoustique, dont la sécurité aurait été désactivée, se serait déclenché à l’intérieur de son tube de lancement. Expulsée du tube, la torpille se serait armée et elle aurait fait l’acquisition de la cible la plus proche — à savoir le Scorpion lui-même. Cette théorie est considérée comme hautement improbable, les marins du Scorpion ayant à tout moment la possibilité d’ordonner l’autodestruction de la torpille avant qu’elle ne prenne son propre bâtiment pour cible. Malgré les révélations du Dr Craven affirmant que le réseau SOSUS avait permis d’observer le sous-marin revenant en arrière sur sa route d’origine, ce virage à 180° correspondant à une tentative d’activer les systèmes de sécurité d’une torpille, Gordon Hamilton affirme que les données acoustiques ne permettaient pas de révéler ces genres de détails.

Une théorie alternative apparue par la suite imaginera l’explosion d’une torpille à l’intérieur de son tube de lancement qui aurait causé un incendie incontrôlable dans le compartiment des torpilles. Les documents produits et les conclusions tirées dans l’ouvrage, Blind Man’s Bluff, affirment que la cause probable de l’explosion aurait été la surchauffe d’une batterie défectueuse de torpille. Les batteries argent-zinc Mark 46 utilisées dans les torpilles Mark 37 avaient tendance à surchauffer et dans des cas extrêmes pouvaient déclencher un incendie assez puissant pour provoquer une détonation de faible ampleur de l’ogive. Si une telle détonation avait eu lieu, elle aurait pu provoquer l’ouverture de la grande trappe de chargement des torpilles et causer le naufrage du Scorpion. Cependant, alors que les batteries Mark 46 étaient connues pour dégager tellement de chaleur que les torpilles se déformaient, il n’existe pas de cas répertorié pour lequel ce type de torpille aurait endommagé un bâtiment ou causé une explosion.

Le Dr John Craven mentionne qu’il n’a pas travaillé sur le système de propulsion de la torpille Mark 37 et n’a pas eu connaissance de la possibilité d’une explosion de la batterie, vingt ans après la perte du Scorpion. Dans son livre The Silent War, il raconte avoir supervisé l’exécution d’une simulation réalisée par l’ancien officier exécutif du Scorpion, le Lieutenant-commandant Robert Fountain. « Le Jr. Fountain avait reçu l’ordre de faire route vers son port d’attache à 18 nœuds à la profondeur de son choix, puis on déclenchait une alarme indiquant « torpille en surchauffe ». Fountain répond à cette alarme par un coup de barre à droite. Un tour rapide du sous-marin sur lui-même active le dispositif de sécurité et empêche la torpille de s’armer. Une explosion dans le compartiment des torpilles est alors introduite dans les paramètres de la simulation. Fountain ordonne le déclenchement des procédures d’urgence afin de faire remonter le bâtiment à la surface, affirme le Dr Craven, mais il continue à plonger, atteignant sa profondeur d’écrasement et implose en 90 secondes – avec une seconde de décalage par rapport à l’implosion relevée sur les enregistrements acoustiques de l’événement réel. »

Le Dr Craven, qui était le directeur scientifique du Bureau des Projets spéciaux de l’US Navy, ayant la responsabilité de la conception, du développement, de la construction, des essais, de l’évaluation opérationnelle et la maintenance du système de lancement des missiles Polaris, croira longtemps que le Scorpion avait été coulé par un tir de sa propre torpille, mais il révisera son opinion au milieu des années 1990 lorsque des ingénieurs qui testeraient des batteries Mark 46 à Keyport, Washington, découvrirent que l’électrolyte des batteries pouvait fuir à l’extérieur de l’enveloppe de la torpille et déclencher un incendie. Bien que le fabricant des batteries fût accusé de produire des batteries défectueuses, ce dernier parviendra à prouver que ses batteries présentaient un taux de défaut identique à celui constaté sur les batteries produites par ses concurrents.

Pendant l’enquête de 1968, le vice-Amiral Arnold F. Shade témoignera et affirmera qu’il penchait pour un dysfonctionnement du système d’élimination des déchets à bord. Shade avancera une théorie selon laquelle de l’eau de mer serait entrée à l’intérieur du sous-marin par la trappe d’élimination des déchets alors que le sous-marin était à l’immersion périscopique. D’autres défaillances de matériel et erreurs humaines dans le traitement de l’inondation auraient conduit à la perte du sous-marin.

L’ouvrage All Hands Down de Kenneth Sewell et Jerome Preisler (Simon and Schuster, 2008) conclut que le Scorpion a été détruit alors qu’il était en route pour récolter des renseignements auprès d’un groupe naval soviétique opérant dans l’océan Atlantique. Si le fait que le sous-marin a reçu une mission qui l’a fait dévier de sa route d’origine (qui devait le conduire à son port d’attache) est connu du public, les détails et les objectifs de cette mission demeurent classifiés. L’ouvrage d’Ed Offley Scorpion Down avance une hypothèse suggérant que le Scorpion aurait été coulé par un sous-marin soviétique au cours d’une confrontation ayant débuté avant le 22 mai. Offley affirme également que ce combat pourrait avoir eu lieu à peu près au moment où le Scorpion se voyait attribuer la mission de collecte de renseignements, pour laquelle il est dévié de sa route initiale ; toujours selon Offley, la flottille venait d’être harcelée par un autre sous-marin américain, l’USS Haddo. W. Craig Reed qui servit à bord du Haddo une décennie plus tard en tant que quartier-maître et officier de plongée, et dont le père avait également servi dans l’US Navy et avait permis des avancées significatives dans la détection des sous-marins dans les années 1960, a raconté des scénarios similaires à celui d’Offley dans Red November à propos du torpillage du Scorpion par les Soviétiques et détaille sa propre expérience à bord de l’USS Haddo quand, en 1977, en cours d’une mission à l’intérieur des eaux territoriales soviétiques au large Vladivostok, des torpilles semblent avoir été tirées en direction du Haddo, avant d’être immédiatement neutralisées par les Soviétiques en prétextant un exercice de tir de torpille.

Les ouvrages All Hands Down et Scorpion Down pointent l’implication du réseau d’espionnage mis en place par le KGB (connu sous le nom de « Walker Spy-Ring ») dirigé par John Anthony Walker qui travaillait au centre de communication de l’US Navy, indiquant qu’il pouvait avoir eu connaissance que le Scorpion avait été envoyé en direction de la flottille soviétique. D’après cette théorie, il existerait un accord tacite entre les marines américaines et russes pour éviter d’évoquer les naufrages du Scorpion et du K-129. Plusieurs sous-marins d’attaque américains entreront en collision avec des sous-marins soviétiques de la Classe Echo dans les eaux soviétiques ou écossaises à cette époque. Le commandant Roger Lane Nott, de la Royal Navy qui commandera le sous-marin d’attaque HMS Splendid en 1982 pendant la guerre des Malouines, affirmera qu’en 1972, alors qu’il servait comme jeune officier de navigation à bord du HMS Conqueror, un sous-marin soviétique avait pénétré dans le Firth of Clyde en Écosse et que Conqueror avait reçu l’ordre « de l’en chasser ». Ayant réalisé qu’il était poursuivi, « un Capitaine soviétique très agressif ordonna à son sous-marin de faire demi-tour et de foncer droit sur le HMS Conqueror. La collision fut évitée de peu. »

La force sous-marine soviétique était au moins aussi professionnelle que celles des principales forces du Bloc de l’Ouest. Selon un article de la Pravda, Moscou ne donna jamais l’ordre à ses sous-marins de tirer pendant la guerre froide. Cette version est remise en cause par des officiers de la Royal Navy, « il y avait eu d’autres occasions où les Russes, harcelés, ont tiré des torpilles pour effrayer les poursuivants ». Les conclusions officielles de la commission d’enquête de 1968 indiquent qu’aucun bâtiment ami ou ennemi ne se trouvait à moins de 200 miles du Scorpion au moment de sa perte.

Les témoignages recueillis dans le documentaire « K129 » ne répond plus, diffusé sur Arte en 2010, suggèrent — eux aussi — que le Scorpion aurait été torpillé par les Soviétiques mais proposent un scénario différent. En mai 1968, les Américains ignorent que John Anthony Walker, qui opère au central de communication de l’US Navy, avait vendu les codes secrets de la Marine au KGB. À cette époque, les Soviétiques savaient donc décrypter les codes de l’US Navy et connaissaient l’ensemble des unités américaines présentes en mer. Lorsque le Scorpion passe le détroit de Gibraltar des unités de la Marine soviétique le suivent donc à la trace et semblent connaître parfaitement son itinéraire. Le commandant du Scorpion indique par radio sa position, celle du groupe naval soviétique et son heure d’arrivée sur zone. Avec ces données, les Soviétiques peuvent déterminer sa position exacte. Plusieurs témoignages d’anciens membres des forces américaines confirment que le Scorpion aurait annoncé qu’il était poursuivi par des unités de la Marine soviétique et qu’il n’arrivait pas à les semer. Le Scorpion était devenu la proie. Selon le témoignage d’un ancien Amiral soviétique, recueilli dans All Hands Down, les Soviétiques envoient alors un hélicoptère à la rencontre du Scorpion, celui-ci largue des bouées sonar et attend. Lorsque le Scorpion s’approche l’hélicoptère émet des signaux sonar. Le commandant du Scorpion avait reçu pour mission de surveiller les activités inhabituelles des Soviétiques, la présence d’un hélicoptère émettant des signaux sonar au milieu de l’Atlantique pouvait surprendre et l’inciter à se placer à l’immersion périscopique (l’épave du Scorpion montre un périscope sorti). L’hélicoptère survole alors le Scorpion et lance une torpille. Le sous-marin essaye de plonger en urgence mais il est touché par la torpille soviétique. Pour maintenir le secret, y compris au sein de la Marine soviétique, l’hélicoptère avait décollé d’un destroyer avec deux torpilles et il s’était reposé avec une torpille sur un autre destroyer.

Le théorie du complot soviétique

Conclusion de l’US Navy

Les résultats des différentes enquêtes de l’US Navy sur la perte du Scorpion ne se révèlent pas concluants. Bien que la commission d’enquête n’ait jamais soutenu la théorie selon laquelle le Scorpion aurait été coulé par sa propre torpille (théorie défendue par le Dr Craven), ses « constatations de fait » — publiées en 1993 — placent cette théorie de torpille en tête de la liste des causes possibles de la perte du Scorpion.

La Navy n’informe pas le public qu’aussi bien l’U.S. Submarine Force Atlantic et le Commander-in-Chief U.S. Atlantic Fleet avaient rejeté la théorie de la torpille de Craven et qu’ils la considéraient comme infondée et elle omet également de révéler qu’une seconde enquête technique sur la perte de Scorpion, achevée en 1970, avait, elle aussi, rejeté l’hypothèse que la détonation d’une torpille ait joué un rôle dans la perte du Scorpion. Malgré la deuxième enquête technique, la Navy continue d’attribuer une forte crédibilité à l’hypothèse de Craven, comme en témoigne cet extrait d’une lettre de mai 2003 de la Division de guerre sous-marine (Submarine Warfare Division – N77), du Naval Sea Systems Command, Naval Reactors et d’autres dans la marine américaine au sujet de son point de vue concernant les théories alternatives sur le naufrage : les conclusions des rapports officiels de l’US Navy et de la commission d’enquête sur la perte du Scorpion suggèrent fortement que le Scorpion coulé par l’une de ses propres torpilles Mk 37. 

L’hypothèse avancée par Sewell et Preisler dans All Hands Down voulant que le sous-marin ait été coulé par des torpilles soviétiques peut être rejetée. Les affirmations de ces auteurs selon lesquelles le Scorpion avait une vitesse de 45 nœuds et que la vitesse des torpilles Mk 37 est de 24 nœuds ne sont pas crédibles. Il est peu probable qu’une torpille soviétique ait eu de meilleures performances d’une MK 37 en 1968 et aucun sous-marin américain ou soviétique à l’exception des sous-marins de la Classe Alfa n’ont jamais eu une vitesse déclarée supérieure à 33 nœuds. Il n’y a aucune possibilité qu’un sous-marin de la Classe Skipjack ai dépassé 35 nœuds en bon état de marche et le Scorpion emportait 10 Mk 37 Mod 1 à filoguidage, prévues pour atteindre à 26 nœuds des cibles situées jusqu’à six miles, ainsi que ses variantes des torpilles d’entraînement des Mk 37 dépourvues d’ogives et des torpilles rapides Mk 14 pour les cibles en surface. Les photographies de l’épave suggèrent que la propulsion du Scorpion avait été détruite par une Mk 37 ce qui correspond en tout point à la façon dont les Mk 37 et les Mk 46 attaquent les sous-marins, elles ciblent l’hélice et la font sauter au moyen d’une petite explosion. 

La question est de savoir comment la torpille Mk 37 a été tirée. Il a été prouvé que le Scorpion avait exécuté des missions dans la mer Noire, dans les eaux intérieures soviétiques et son équipage comprenait un certain nombre d’officiers et les matelots russophones. Si le Scorpion avait détecté des indices laissant à penser que les Soviétiques interceptaient les communications de l’US Navy, il est peu probable qu’il ait envoyé ce message par des canaux fermés/ouverts jusqu’à ce qu’il atteigne Norfolk. Les sous-marins de la Classe Skipjack étaient capables d’atteindre des vitesses de 33 nœuds et il est peu probable qu’il ait été intercepté par un sous-marin de la Classe Echo (dont la vitesse maximale était de 22 nœuds et les spéculations sur le sort du Scorpion ne pourraient bien être qu’une tentative supplémentaire de parasiter une question d’une importance stratégique en 1968 au moment le plus dangereux de la guerre froide. Les principaux amiraux américains et des conseillers de la Défense ont peut-être également souhaité taire des questions d’espionnage potentiel, liées à l’utilisation de drogues et les désordres connus à bord des bâtiments de surface et des sous-marins de l’US Navy dans la période de la guerre du Vietnam. Une autre possibilité est que le commandant Slattery peut avoir ordonné de tirer une torpille Mk 37 après avoir entendu un écho sonar erroné, alors qu’il était soumis à des conditions de stress après avoir été éventuellement harcelé et même engagé par des sous-marins soviétiques auparavant, au cours de cette longue mission. Des destroyers de l’US Navy et de la Royal Australian Navy ont été confrontés à de faux échos sonar plusieurs fois pendant la guerre du Vietnam, et notamment l’USS Turner Joy et l’USS Maddox au cours de l’incident du golfe du Tonkin. D’anciennes frégates de la Royal Navy entendaient constamment de faux échos de torpilles pendant la guerre des Malouines. Le jour où l’HMS Sheffield fut coulé, le HMS Yarmouth avait indiqué qu’il avait subi neuf attaques à la torpille dans la journée, alors qu’il utilisait un sonar sans Doppler 170/177 à impulsions passive/active.

Epilogue Titanesque

On apprendra en 2018 qu’une opération d’exploration de l’épave a été menée sous le couvert de la découverte de l’épave du RMS Titanic en 1985. La marine américaine avait en effet accepté de financer une partie des recherches du Titanic que si les moyens étaient auparavant utilisés pour explorer les épaves du Thresler et du Scorpion. L’explorateur Robert Ballard (ancien commandant de la Marine américaine) en avait accepté le principe. Les américains voulaient depuis longtemps envie de retourner sur site, mais ils craignaient de dévoiler l’endroit aux Russes et que ces derniers s’emparent des armes nucléaires présentes dans le bateau. En revanche, on ignore toujours si cette nouvelle exploration a pu déterminer la cause du naufrage du Scorpion. A suivre…

Préoccupations environnementales

L’épave du Scorpion repose aujourd’hui sur un sol sablonneux au fond de l’océan Atlantique à environ 3.000 m de profondeur. Le site est situé à environ 400 miles marins (741 km) au sud-ouest des Açores, sur la bordure orientale de la mer des Sargasses. Ses coordonnées géographiques sont 32° 54,9′ N, 33° 08,89′ O. L’US Navy reconnaît qu’elle inspecte régulièrement le site pour mener des mesures sur la contamination radioactive provenant du réacteur nucléaire ou des deux torpilles nucléaires présente à bord au moment du naufrage, et pour déterminer si l’épave a été visitée. La Navy n’a rendu publique aucune information sur le statut de l’épave, si ce n’est quelques photographies de l’épave prises en 1968, puis à nouveau en 1985 par des submersibles en eaux profondes.

 

La Navy a publié des informations sur les mesures de radioactivité réalisées sur et autour de l’épave du Scorpion. La Navy ne signale pas de fuite radioactive significative en provenance du sous-marin. Les photographies prises en 1985 le seront par une équipe d’océanographes travaillant pour le Woods Hole Oceanographic Institution à Woods Hole (Massachusetts).

L’US Navy surveille régulièrement les conditions environnementales du site depuis le naufrage et rapporte les résultats dans un rapport public annuel sur la surveillance environnementale des bâtiments à propulsion nucléaire américains. Les rapports fournissent des détails sur l’échantillonnage des sédiments, sur la qualité de l’eau et sur la vie marine dans le but de déterminer si le sous-marin a considérablement affecté son environnement immédiat. Ces rapports expliquent également la méthodologie utilisée pour la réalisation de cette surveillance en eaux profondes à partir de navires de surface et de submersibles. Les données recueillies confirment qu’il n’y a eu pour l’instant aucun effet significatif sur l’environnement. Le combustible nucléaire présent à bord du sous-marin demeure intact et les inspections de la Navy n’ont pas révélé des niveaux de radioactivité anormaux. Par ailleurs, le Scorpion emportait deux torpilles nucléaires anti-sous-marines Mark 45 ASTOR au moment de son naufrage. Les ogives de ces torpilles font partie de la surveillance environnementale. Le scénario le plus probable est que le plutonium et l’uranium de ces torpilles se soient corrodés après le naufrage pour former un matériau lourd et que les torpilles soient à l’heure actuelle proche de leur position initiale dans le compartiment des torpilles. Si ces matériaux corrodés devaient être expulsés du sous-marin, leur gravité élevée et leur insolubilité les piégerait à l’intérieur des sédiments.

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