Constructeur officiel des maquettes de Naval Group
Qui n’est pas tombé en admiration devant les maquettes présentées par les constructeurs naval ? Des maquettes de plus d’un mètre de long avec une finition impeccable. La finesse des détails, le choix des coloris. Tout y est. La technique et le rêve en plus.
Rien à voir avec les petites maquettes Heller ou les petites maquettes souvenir que l’on peut acheter sur le site en ligne de ces constructeurs. Là, il ne s’agit pas de modèles en série, mais bien souvent d’exemplaires uniques qui traversent les océans dans des caisses molletonnées afin de vendre notre savoir-faire à l’international. Et quand au détour d’une maquette on s’aperçoit qu’il s’agit d’un éclaté montrant l’intérieur de nos bateaux noirs, c’est se plonger dans un passé pas si lointain ou se projeter dans un rêve impossible.
Mais ces joyaux ne se construisent pas d’un coup de baguette magique. C’est l’œuvre de quelques artisans discrets dont le nombre se compte sur les deux ou trois doigts d’une main.
J’ai eu l’immense plaisir de pouvoir visiter l’un d’entre eux et même si son propriétaire souhaite rester discret (d’où l’absence de nom dans cet article), il m’a ouvert les portes de son atelier.
Une large porte grise en métal et un hangar d’une trentaine de mètres de long. Un atelier d’un autre temps où se côtoient vielles machines d’usinage, chutes de bois et matériaux composites. Un bric à brac insolite qui ferait le bonheur de tout artisan. A l’entrée, quelques maquettes miniatures donnent le ton. Un Daphné, un Scorpène, un SNLE 3G de 2018 !!!, une torpille dernière génération, une corvette, un SUUV et autres objets de rêve. Mais il n’y a pas que des sous-marins. L’entreprise confectionne également d’autres objets pour des clients comme SAFRAN, AIRBUS ou des parfumeurs. Ici, nul besoin d’être amoureux des bateaux gris pour pouvoir exercer son métier avec talent. Les hommes en tenue bleues œuvrent en silence sur leurs machines et à l’aide d’outils de précision, peaufinent les détails de leurs réalisations.
Très rapidement, je tombe sur la coque d’un Suffren. C’est le premier écorché couleur de la maison, directement commandé par NAVAL GROUP. D’autres maquettes de cette taille (environ 2 m) ont été réalisées, mais en simple coque. Un premier écorché a déjà été livré pour le musée de la Porte de la Villette, mais curieusement, l’intérieur a été commandé en gris uniforme. Une exigence de la DGA.
Car la DGA a son mot à dire. Pour faire simple, même si le donneur d’ordre est le constructeur (Naval Group en l’occurrence), rien ne sort sans l’aval de la Direction Générale des Armées. Naval Group fournit un fichier 3D et la DGA en épure tout ce qui est Top Secret. Ainsi la pile nucléaire devient une simple boite sans aucune indication sur son alimentation et ses raccordements. Une fois que les fichiers sont épurés, le fichier 3D arrive chez le maquettiste qui entame alors un deuxième travail de purification. Car le fichier intègre un grand nombre d’éléments qui ne sauraient être modélisés. Citons par exemple les câbles, vis, tuyauteries, etc. Un gros bric à brac à supprimer. Ce travail est très important et représente pour le Suffren près de 150 heures de travail.
Une fois ce travail effectué, il faut découper les sections intérieures en petits modules (environ 300 pièces pour le Suffren) qui pourront être imprimés en 3D puis réassemblés dans la coque du sous-marin. Pour le maquettiste, il est étonnant de savoir que pour lui, les formes à reproduire n’ont pas forcément de sens logique. Autant une bannette est facilement reconnaissable, autant une armoire électrique peut passer comme difficilement identifiable. L’imprimante 3D fait alors son ouvrage pendant des heures, des jours, des nuits afin de reproduire toutes les pièces du puzzle. Les pièces sont alors poncées, débarrassées de toutes les imperfections avant de passer à la cabine de peinture. Les pièces sont alors fichées au bout d’une tige sur une plaque de polystyrène avant de recevoir leur couleur définitive. Et c’est là que parfois ça coince. En effet, le fichier 3D fournit par le constructeur ne contient pas les codes couleurs des différentes pièces. Il faut alors improviser en se basant sur des photographies (quand il y en a). On ne saurait donc pas surpris de découvrir un intérieur « Arc en ciel » si l’envie venait à poindre. Pas sûr que cela plaise néanmoins à la DGA !
Les coques de grandes tailles sont réalisées par impression 3D mais renforcées par l’intérieur en résine polyester avec des masses en résine polyuréthane pour la fixation du bateau sur son socle. Même si les pièces sont en grande partie réalisées en impression 3D (ce qui permet un degré de détail supérieur), pour certaines pièces, l’usinage traditionnel reste d’actualité en utilisant des résines, des matières plastique et des métaux léger comme le laiton et l’aluminium. Les grandes coques sont imprimées dans un autre atelier (temps d’impression pour la coque du Suffren : environ 50 h)
Après vient la période d’assemblage où, contrairement à la boite du château de Playmobil que vous avez patiemment assemblé à Noël en 2 heures, il n’y a pas de mode d’emploi.
En dehors de la phase de nettoyage des fichiers et du temps d’impression, la réalisation d’une maquette en éclaté au 1/50ème (soit environ 2m de long) représente entre 400 et 500 heures de travail. Pour une coque simple, il faut compter entre 150 et 200 heures. A partir de là, je vous laisse imaginer le prix du produit fini (et qui ne m’a pas été communiqué).
A ce niveau-là, il n’y a pas de produits en série. Quand bien même il arrive que plusieurs commandes soient programmées (pour des coques seules), un moule est conçu à partir de la première maquette afin d’en produire d’autres. Mais ce principe est surtout valable pour les petits exemplaires (moins de 50 cm).
Au regard du délai de production, on pourrait croire que les commandes sont programmées longtemps à l’avance. Il n’en est rien. Pour la maquette du SMX-31, la commande est arrivée deux mois avant le salon Euronaval. Inutile de dire qu’il n’a pas fallu chômer. Pour info, la maquette est visible au siège de Naval Group, mais n’y entre pas tout le monde…
Mais ce qu’il y a de très intéressant dans tout cela, c’est que le maquettiste est au courant des nouveautés bien avant la Presse qui elle ne découvre les maquettes que sur les salons. C’est notamment ce qui m’a permis de découvrir une maquette du SNLE3G datant de 2018, une version du Suffren avec le massif identique à celui de la Classe Rubis et des gouvernes en croix radicalement différentes, un Shortfin Barracuda destiné à l’Australie estampillé DCNS, un Andrasta, etc. Bref, le rêve pour quelqu’un comme moi. Mais par respect et confidentialité, je me suis bien gardé de demander s’il y avait des projets secrets à venir.
Le métier de maquettiste ne date pas d’aujourd’hui. L’entreprise que j’ai eu la chance de visiter est une entreprise familiale qui existe depuis deux générations. On ne parlait pas d’ailleurs de « maquettiste », mais de « modeleurs mécanicien ». Le but était de créer des moules pour les fonderies afin de créer par la suite des pièces en série. Raison pour laquelle cette profession ne se rencontrait qu’en province et pas en région parisienne. C’est l’arrivée de la maquette d’exposition qui a bouleversé la profession. A l’époque, l’idée d’une imprimante 3D n’effleurait pas les esprits et il fallait partir d’un morceau de bois en massif et tailler la coque. Puis thermoformage et finitions. La première maquette du Classe Redoutable a été construit de cette manière.
L’arrivée de l’impression 3D il y a une dizaine d’années n’a pas pour autant accéléré la vitesse de création. Ce qu’elle a permis, en échange, c’est de concevoir des maquettes avec beaucoup plus de détails, notamment sur les éclatés.
Quand la maquette est terminée, elle part chez son propriétaire final pour souvent faire le tour du monde. Souvent, elle revient voir son concepteur. Les maquettes sont fragiles, les manipulations pas toujours soignées et les visiteurs ne résistent pas au plaisir de toucher. En conséquence, l’objet sacré a parfois besoin d’un petit lifting, d’une nouvelle antenne pour son massif. Bref, d’un IPER.
On s’y croirait !