ALLEMAGNE
TKMS est la seule société à construire des sous-marins en Allemagne depuis la fin de la deuxième guerre mondiale.
Ayant définitivement tourné le dos aux différents types d’U-boot, la première Classe produite (limité en taille par les Alliés) est le Type 201 en 1960-62 et signe ainsi le renouveau de la construction allemande.
Tous les Types suivants seront des succès à l’exportation avec notamment le succès mondial du Type 209 et ses différentes déclinaisons. Ce sous-marin diesel-électrique a été vendu à 69 exemplaires au profit de quatorze marines et TKMS revendiquait jusqu’à 60 % des exportations mondiales. Les Types suivants auront également du succès, mais plus les années passent, plus la concurrence est rude avec les offres d’autres constructeurs français, japonais, suédois, etc. La concurrence viendra même de pays ayant bénéficié de la technologie allemande et ayant depuis peu proposé leurs conceptions à l’exportation. Sur la période 2000-2014, sa part de marché a reculé, pour se situer autour de 48 %. TKMS a notamment perdu deux appels d’offres sur ses marchés historiques (Inde 2005 et Brésil 2009), remportés par le français Naval Group. Confronté aux exigences grandissantes des Etats-clients en matière de compensations industrielles, TKMS a adopté, dès les années 1970, une stratégie agressive fondée sur l’octroi de licences de production (après réalisation de la tête de série en Allemagne), suivie d’importants transferts de technologies. Accompagnant l’essor de capacités technologiques et industrielles chez ses principaux clients, cette politique a contribué à tisser de puissants liens de coopération, participant de la pérennisation des relations client-fournisseur. Ainsi, partenaire historique de la Turquie (Golçuk) et de la Corée du Sud (DSME), TKMS a assisté leurs chantiers navals dans leur quête d’autonomie.
Mais il est difficile de comprendre l’état du secteur sans revenir sur les développements qu’a connus TKMS depuis une décennie. Depuis les années 2008-2009, la rentabilité de TKMS est régulièrement mise à caution par son actionnaire, Thyssenkrupp. La pression sur la branche navale s’est accentuée avec l’arrivée au capital d’investisseurs suédois (Cevian Capital, 2013) et américains (Elliott, printemps 2018).
Dans ce contexte tumultueux, la structure de TKMS n’a cessé d’évoluer. L’entreprise s’est ainsi progressivement délestée de ses activités de constructions civiles et militaires de surface en vendant les chantiers de Nordseewerke Emden (2010), HDW-Gaarden (Kiel, 2011) et Blohm + Voss Shipyards (Hambourg, 2012). Dans un autre mouvement de déconsolidation, TKMS s’est séparé de ses filiales grecques (Hellenic Shipyards, vendue en 2010 à Abu Dhabi MAR) et suédoise (Kockums, vendue, sous pression de l’Etat suédois, en 2014 à Saab AB). Ses activités de conception, de production et de réparation de sous-marins, segment sur lequel elle anticipait une forte demande internationale d’ici à 2020 et qui représente son domaine d’excellence, ont été maintenues. Elles se déroulent essentiellement sur le site de Kiel-Gaarden. Le modèle économique de TKMS basé sur les exportations a cependant connu des turbulences. Outre ses difficultés sur certains contrats (retard dans le cas turc, soupçons de corruption dans le cas israélien), ses positions sur le marché export ont été fragilisées par la perte successive de plusieurs appels d’offres majeurs (Inde, Brésil, Australie). La concession d’importants transferts de technologies et d’activités à certains partenaires, notamment sud-coréen et turc, est aussi considérée comme un facteur ayant favorisé l’arrivée de nouveaux entrants dans la compétition, comme Daewoo Shipbuilding & Marine Engineering (DSME).
Si le contrat singapourien (218SG) lui a offert un répit (ainsi que le 212CD pour la Norvège), TKMS demeure condamnée par ses choix à évoluer dans le haut du segment. Elle doit aujourd’hui concrétiser son projet de sous-marins 212x, proposé aux Pays-Bas, la Pologne et à d’autres pays riches.
Face à la montée en puissance de ses concurrents (Naval Group et son offre Scorpène), TKMS a procédé au remplacement de son offre Type 209 au début des années 2000, avec le lancement du sous-marin diesel-électrique et AIP Type 214. Bien que le Groupe continue de produire des kits de modernisation pour son Type 209, les dernières propositions commerciales formulées par TKMS laissent à penser que le groupe allemand aurait décidé de délaisser le bas du segment au profit de ses partenaires Golçuk et DSME. En effet, depuis 2000, dans le cadre des appels d’offres internationaux, TKMS a systématiquement proposé son offre Type 214. Par exemple, dans le cadre du marché indonésien, selon le quotidien turc Hurriyet, TKMS n’a pas proposé d’offre, mais a officiellement soutenu celle de Golçuk. Dans le même temps, TKMS n’a pas entravé la candidature de DSME, pourtant fondée sur son Type 209.
Développé sur la base du sous-marin diesel-électrique et AIP Type 212A, conçu pour la Bundesmarine (commandé à 6 unités) et exporté vers l’Italie (4 unités), le Type 214, doté d’un système AIP à piles à combustible, a été exporté à 22 exemplaires en quatorze ans : Grèce (2000 et 2002, 4 unités), Corée du Sud (2000 et 2008, 9 unités), Portugal (3 unités) et Turquie (2009, 6 unités).
L’introduction du Type 214 a coïncidé avec une évolution de son approche export, notamment auprès des Etats affichant l’ambition de se doter de leurs propres capacités de conception et de production. Ainsi, TKMS a accordé à ses partenaires historiques (Corée du Sud et Turquie), et ce, dès la tête de série, la possibilité de produire une grande partie de la plateforme (à l’exception de certaines sections pré-assemblées en Allemagne). L’Italie obtiendra par la suite des concessions similaires avec l’intégration de technologies indigènes. En outre, selon Defense Industry Daily, ces accords comprennent un transfert de technologies plus important avec des compensations industrielles pouvant aller jusqu’à 80 % (Turquie), comprenant, le cas échéant, le transfert aux partenaires des activités d’intégration. De plus, ce type de coopération se veut plus engageant dans le domaine des systèmes embarqués (système de combat, Sonar, contremesures, etc.) afin de répondre aux exigences des Etats-clients en matière de contenu local.
Produisant historiquement des plateformes inférieures à 2.000 tonnes, TKMS a dévoilé lors du salon Euronaval 2012, un concept de 90 m et 4.000 tonnes : le Type 216, basé sur le Type 214 avec un AIP. Ce fut un véritable échec commercial. Notons également que le groupe a développé un nouveau design dans le cadre du marché singapourien : Type 218SG. Enfin, TKMS dispose d’une offre (Type Dolphin et Dolphin II) uniquement dédiée à son client israélien.
Dépendant des marchés export (~70 % du CA), TKMS est contraint par un business model qui lui impose d’adopter une posture agressive en matière de compensations industrielles (contraintes également renforcées par des exigences grandissantes de la part des Etats-clients). En conséquence, afin de conserver son avance technologique et sa place de leader, TKMS consacre une part importante de son CA au financement des activités de R&D (>10 % en moyenne), tout en établissant des partenariats. Ainsi, en coopération avec le groupe espagnol SENER, TKMS a développé une évolution de son système AIP PERMASYN. Cette dernière vise le remplacement des piles à combustible par des batteries au Lithium-Ion moins encombrantes et moins contraignantes. Partie intégrante de son concept (mort-né) Type 216, ce système pourrait également être installé sur son Type 218SG.
En mai 2019, et selon certaines sources, si la situation financière venait encore à se dégrader, TKMS pourrait être démembré et il n’est un secret pour personne que Naval Group serait intéressé pour reprendre son activité navale. De cette manière, Naval Group, renforcé et par cette acquisition allemande, et par son partenariat avec Fincantieri (Projet Poséidon), deviendrait un groupe dont la puissance pourrait rivaliser avec la Chine, la Russie et les Etats-Unis. Mais pour l’instant, TKMS tient encore le coup.
Mais enterrer la construction navale germanique est aller un peu trop vite en besogne. Dès 2021, TKMS remporte de nouveaux marchés et ses clients fidèles (comme l’Italie et Israël) continuent de lui passer commande de nouvelles unités.