Oreille d’Or - Une spécificité française ?

Lorsque l’on échange avec des profanes de la soumarinade qui ont vu le film « Le chant de Loup », le premier mot qui revient est indubitablement celui d’Oreille d’Or. Nous autres connaissons tous cette spécialité sous-marine. Mais à moins d’en être spécialiste, savons-nous exactement à quoi cela correspond et comment ils exercent leur mission. Pas sûr ! En tout cas, et en ce qui me concerne, je restais campé sur quelques idées de base qui me permettaient de fanfaronner auprès des ignares.

En gros, je savais qu’il n’y avait pas besoin d’avoir l’oreille absolue pour devenir Oreille d’Or, qu’ils passaient leur journées devant des écrans noirs qui présentaient des lignes verticales luminescantes plus ou moins régulières, qu’ils arrivaient à faire la différence entre un banc de crevette, des cris des dauphins, du chant des baleines ou d’un cachalot malade avec un bateau de guerre et un cargo ou chalutier, qu’ils pouvaient compter le nombre de pales d’une hélice, de déterminer le nombre de tours par minutes… On les voyait constamment avec un casque sur les oreilles, concentrés comme des fous et qu’ils étaient respectés par tout l’équipage et surtout par leur commandant.

Leur rôle était prépondérant dans tous les films de sous-marins. Rien qu’à voir le matelot Ronald Jones, opérateur sonar de l’USS Dallas (joué par Courtney B Vence) pour comprendre l’importance de rôle. Il arrivait à contredire l’ordinateur du bord (programmé à la base pour détecter les mouvements magmatiques) pour finalement être en capacité de pister le célèbre Octobre Rouge. Et si il n’avait pas l’oreille absolue des musiciens, il pouvait écouter Paganini à longueur de journée.

Mais sorti de ces généralités, il fallait reconnaître que je n’y connaissais pas grand-chose. En surfant sur Internet, je trouvais quelques articles officiels, mais peu instructifs. Toujours les mêmes généralités. La Marine popularisait la profession pour attirer les jeunes talents (c’est plus sexy que de montrer la vie au sein de l’équipe propulsion) et proposait aux invités du bord (les politiques en particulier) de coiffer le fameux casque pour leur montrer la distinction entre le bruit d’un dauphin et celui d’un destroyer.

C’est au cours de nombreuses discussions avec des anciens sous-mariniers que j’ai réalisé que j’étais très très loin de connaître ce métier d’exception. Il fallait donc  creuser. Ou en l’occurrence, plonger pour en savoir plus. Reste que si la Marine communique aussi peu sur la question, c’est que bon nombre d’informations sont classées Secret Défense. Il était hors de question pour moi de mettre notre Marine dans l’embarras et encore plus les sous-mariniers. Cet article est donc un jeu d’équilibriste entre ce qui peut être expliqué et ce qui ne l’est pas. On ne citera donc aucun modèle trop précis de sonar, les fréquences couvertes avec exactitude, ni les stratégies des opérateurs. Tout ce qui est donc écrit ici est public pour qui sait où trouver l’information. J’espère ainsi ne commettre aucun impair dans les lignes qui vont suivre…

La chant du loup
A la poursuite d'Octobre rouge
A la poursuite d'Octobre rouge
Illustration d’un sonar actif (profondeur et détection des mines) Kongsberg

Pour commencer, il me parait logique d’expliquer les fondamentaux (pour les novices de la sous-marinade).

Le rôle d’un Oreille d’Or, plus généralement appelé « Analyste Sonar » ou « Analyste en guerre acoustique » est d’identifier ce qui se passe autour du sous-marin. Ce sont les yeux du bateau. Il identifie autant les sources de bruits amis qu’ennemie. Les amis sont les flottes non-militaires (encore qu’elles pourraient transmettre des informations à d’autres acteurs), les biologiques (cétacés et autres animaux marins), événements naturels (tempête en surface, mouvements magmatiques) qui pourraient créer des interférences sonores, les flottes militaires amies et les flottes militaires ennemies. 

La détection et l’identification de ces sources permet au commandant du navire de prendre des décisions qui vont de l’évitement (principalement pour les SNLE qui doivent se diluer dans l’océan) à la recherche d’une solution de tir ou de rapprochement (à des fins de renseignement). L’analyste a donc le rôle de conseiller auprès du commandant.

Notre expert utilise pour sa mission principalement des sonars passifs. Le sonar actif n’étant utilisé qu’en cas d’urgence (car signalerait immédiatement sa position aux autres acteurs). Certains sonars actifs sont parfois utilisés, mais de façon verticale pour vérifier le relief sous-marin ou l’épaisseur des glaces (les américains ont même des « Conseillers Glace » à bord pour les missions dans l’Arctique). Ces sonars sont réglés à des fréquences relativement élevées et ne se propagent pas sur des longues distances. Il en est de même pour le fameux téléphone sous-marin, le TUUM, qui fonctionne à quelques dizaines de KHz. Il arrive cependant que le sonar actif soit aussi utilisé pour vérifier une distance de tir après lancement de la torpille afin d’effectuer les correctifs utiles par filiguidage.

Notons cependant que l’US NAVY utilise des sondeurs de profondeur en continue (pas les français) comme le NAVSON (faisceau étroit, bande étroite et à très courte portée). Le domaine des sonars actifs avec notamment de la visualisation en 3D (Type MOAS) de Thales) ne fera donc pas l’objet de cet article, même s’il n’est pas dénué d’intérêt dans les eaux littorales pour la détection des fonds, des mines, des sillages, etc.

Ces sonars passifs sont disposés à différents endroits du sous-marins, car aucun ne peut couvrir les 360°.

Les antennes de flanc (Flank Array)

Ils peuvent être le long de la coque externe et sont donc visibles lorsque le bâtiment est hors d’eau. Ils se présentent sous la forme visuelle de plaques ou bandes plus ou moins continues. Ce sont généralement des sonars en bande large et étroite. L

’antenne peut être plate ou incurvée en 3D pour épouser la surface de la coque. On parle alors d’antenne pseudo-conform.

Sonar de flanc pseudo-conform de la Classe Astute (Thales Sonar 2076)

L’antenne cylindrique (Cylindric Array) 

Elle est également positionnée à l’intérieur du dôme (donc non-visibles) sous la forme d’une sphère, d’un cylindre ou d’un fer à cheval plus ou moins complet bardée de capteurs. 

La présence de ce sonar de proue conditionne généralement l’emplacement des tubes lance-torpilles, car ces tubes ne peuvent traverser la sphère sonar. La sortie des tubes est donc située au dessus de la sphère ou latéralement sur les coques du sous-marin.

Suite donar de la Classe Seawolf (Sonar passif au-dessus, sonar actif en dessous et sonar pseudo conform en périphérie)

L’antenne linéraire remorquée uniforme ou à triplet (Towed Array)

Enfin, nous trouvons ces capteurs sur des antennes linéaires remorquées (rétractables ou non) tirées par le sous-marin. 

Ces antennes, parfois de plusieurs km de long permettent de capter des sons situés dans le baffle du sous-marin (partie arrière perturbée par la propulsion) et sans être polluées par les interférences du bord.

Ces antennes linéaires remorquées (ALR), flûte, nouille pour les intimes ou Towed Array Sonar (TAS) ne peuvent être déployées que lorsque le bateau est en mouvement car sinon, l’antenne, même si elle possède une flottabilité presque nulle plonge ou remonte irrémédiablement. Elle n’est pas non plus très pratique à utiliser lorsque le sous-marin manœuvre dans des eaux peu profondes. Ces ALR sont parfois au nombre de deux sur certains sous-marins américains. Chacune de ces ALR sont donc réglées à des fréquences bien distinctes. Elles sortent au bout des gouvernes de direction ou parfois au bout d’extensions autres dont le but est de les éloigner de la propulsion. Le doublement de ces ALR permet de ne pas avoir de coupure de signal lorsque le sous-marin fait un mouvement giratoire. En effet, quand le bateau tourne, l’antenne se courbe à son milieu et perd de ses capacités. Avec deux antennes, la courbure se fait à deux endroits différents (effet de banding) et l’information peut être suivie grâce aux ordinateurs. De plus, lors d’un virage, les deux antennes peuvent à un certain moment donner des informations distinctes sur un même but et donner par trigonométrie un positionnement très précis de la cible. Avec une seule antenne, la précision est altérée car entre l’amorce et la fin du virage, du temps s’est écoulé et le but peut avoir évolué. Même avec une seule ALR, il est possible de calculer la distance d’un but si la nature du fond s’y prête. En effet, l’analyste peut alors comparer les informations reçues par l’émetteur en direct et celles qui sont réfléchies par le fond. Ces hydrophones permettent d’écouter des très basses fréquences (ETBF) de quelques dizaines à environ 1500 Hz. Plus on souhaite descendre dans les fréquences, plus les hydrophones doivent être espacés entre eux et éloignés du bateau et donc, plus l’ALR est longue. Ces équipements permettent de déceler une présence à des distances pouvant dépasser la centaine de kilomètres. Ce sont généralement des sonars en bande étroite. Le jeu de toute marine est donc d’essayer de s’emparer d’une partie de l’antenne de l’ennemie pour l’analyser et découvrir sa capacité sonar. Un jeu risqué, mais qui a parfois été récompensé.

Les hydrophones du câble OptiArray enroulé sur le câble ont une précision d'un billionième de millimètre.
Déploiement manuel s’une ALR (Skipjack ?)
Enrouleur d’une ALR (Type 214 / KSS II Sud-coréen)
ALR sur le Triomphant

Pendant les années 90 sont apparus les sonars de transitoires (présents sur les ALR, de dôme ou de flanc de certaines Marines). Ils permettent de repérer les bruits accidentels matérialisés par des « bouffées d’énergie » (claquement de porte, objet qui tombe, etc.) dans toutes les directions, et surtout de pouvoir les ré-entendre à posteriori (ce qui n’était pas possible avant si l’opérateur n’était pas réglé sur la bonne fréquence ou la bonne direction). Chaque bateau met donc en œuvre ses sonars passifs et c’est à l’analyste de les interpréter. En fait, quand je dis l’analyste, ce n’est pas toujours le cas. Tout dépend de la Marine. En France, comme on n’avait pas d’ordinateurs assez puissants pour faire le travail (ou assez de budget), on a confié la mission à des humains, correctement formés pour ces missions. Nous y reviendrons plus tard.

Revenons aux outils des analystes du bord. La première chose qui m’a étonné est de voir généralement ces hommes avec le casque posé uniquement sur une oreille. Moi, quand j’écoute Mark Knopfler, je m’immerge avec le casque sur mes deux pavillons auditifs. Pourquoi alors ne l’utiliser qu’à 50 % ? Pour faire comme le DJ dans la boite de nuit ? La réponse est simple. L’analyste a besoin de l’ambiance du bord pour comprendre la situation tactique du sous-marin. S’il est complètement isolé, il perd des informations importantes et ne peut donc mettre en cohérence ses propres observations. Une dernière raison, et non des moindres, c’est que toute personne entend toujours mieux d’une oreille que d’une autre. L’analyste utilise donc généralement sa meilleure oreille pour analyser les bruits (d’autant qu’il n’y a pas de stéréo !). Pour que l’Oreille d’Or soit efficace, il a besoin de trois éléments : Une bonne oreille, des bons capteurs (suite sonar + logiciel) et une connaissance de la tactique. Si ces trois éléments donnent une seule et même information cohérente, l’interprétation est à priori la bonne. A contrario, si vous trouvez qu’un bateau de pêche avance à 18 nœuds, il y a un problème quelque part. C’est en fin de compte un long travail itératif sans fin dans lequel une nouvelle information reçue peut remettre en cause toutes les projections précédentes. De même, l’Oreille d’Or reçoit du « Rens » (affiché au CO) lors de la mission. Ces données peuvent le renseigner sur les bateaux qu’il sera susceptible de rencontrer. Ces renseignements peuvent provenir d’observations en surface, d’images satellites, de planifications de transit ou autres données plus secrètes. A partir de là, il réalise des fiches qui pourront l’aider lors de ses futures détections, ou même se repasser les enregistrements à l’avance.

Une signature acoustique est la représentation des bruits rayonnés par un bateau ou un sous-marin. Chaque classe (Type) de bateau ou sous-marin émettent des bruits distincts permettant de les différencier entre eux. Ces bruits émis à différentes fréquences permettent de classifier les signatures sonores captées en les comparant à une base de données préenregistrée.

Les systèmes de Sonar détectent les signaux acoustiques dans les gammes de fréquences à bande large et à bande étroite.

Puisque nous allons évoquer les fréquences, il peut être intéressant de faire quelques comparaisons. L’oreille humaine peut théoriquement entendre des fréquences entre 31 et 19.000 Hz, même si elle reste plus sensible entre 2.000 et 5.000 Hz. Elle a la capacité de distinguer quelque 400.000 sons. A titre de comparaison, certains animaux (comme les éléphants, furets, bœufs ou insectes peuvent percevoir des infrasons à 16 hz et les dauphins des ultrasons à plus de 100.000 Hz.

Signaux à Bande Large

Les sources acoustiques à bandes larges passives, qui peuvent être produites par le mouvement d’un bateau dans l’eau et son propulseur (ou hélice) émettent de l’énergie acoustique sur un éventail de fréquences. L’affichage à bande large montre tous les contacts qui émettent de l’énergie acoustique, qui font partie de la gamme bande large. En réalité, la bande large correspond à ce que peut entendre l’oreille humaine. Ces sonars captent généralement les fréquences entre quelques centaines de Hz à 12.000 Hz.

Signaux à Bande Etroite

Les sources à bande étroite passives émettent de l’énergie à une fréquence distincte. Une source acoustique à bande étroite est typiquement produite par un élément spécifique d’équipement sur un navire tel qu’une pompe ou un moteur. Puisqu’il est possible de détecter un contact dans une gamme plus large en recherchant une fréquence distincte, il est parfois utile de commencer la recherche des contacts dans le Sonar à bande étroite. Les détections accrues sont possibles parce que la bande étroite focalise le sonar dans la fréquence, rejetant le bruit ambiant qui est en dehors de la bande de fréquence de la signature de la cible. En plus, les fréquences spécifiques émises par un contact sont uniques et aisément identifiables, donc des fréquences à bande étroite peuvent être employées pour classifier des contacts. Les fréquences spécifiques associées à un navire sont connues et sa signature sonar appelée profil sonore. Les systèmes de sonar accèdent à une bibliothèque de signatures connues où les profils Sonar apportent une aide dans le processus de classification.

A partir de ces siganux, on peut appliquer plusieurs traitements :

DEMON (Demodulation of Envelope Modulation On Noise) : C’est une analyse à bande étroite utilisée pour le traitement du bruit de cavitation avec une accumulation supplémentaire de données obtenues à partir de l’objet contrôlé. Ce traitement permet de convertir des fréquences élevées (1 à 4 KHz) à des fréquences situées à quelques dizaines de Hz en permettant de mieux étudier les fondamentales et les harmoniques. En termes de mise en œuvre pratique, l’analyse DEMON permet de séparer le bruit de cavitation du spectre global du signal et d’estimer le nombre d’arbres, leur fréquence de rotation et la vitesse des pales (en fait, tout ce qui tourne). Étant donné que cette analyse fournit des informations complètes sur les hélices cibles, elle est également très utile à des fins de détection de cibles.

LOFAR (Low Frequency Analysis and Recording) : C’est une analyse spectrale à large bande couvrant la plage attendue du bruit de l’objet contrôlé. On y analyse les informations provenant principalement de la motorisation (diesel, turbines, boîtes de vitesses …).

La procédure de création de l’image de situation se déroule toujours dans le même ordre. Détection par un capteur – analyse (DEMON, analyse LOFAR, TMA (Target Motion Analysis – Analyse du mouvement de la cible) – classification / identification. Sans détection – pas d’analyse – sans analyse pas de classification.

Et c’est à partir de toutes ces données, prises dans le temps et dans des positionnements différents que l’on arrive à analyser les mouvements de la cible (TMA) puis de prendre la décision qu’il convient.

Analyse du mouvement de la cible (TMA)
Bande large
Bande étroite
Chute d'eau

Voici quelques écrans (ou représentations d’écrans) qui vont nous aider à mieux comprendre ce que voit un analyste sonar.

Un premier écran permet de déterminer la position du bruit (azimut) sur 360° en « bande large ».

Schématiquement, la zone noire représente la zone où le sonar est inopérant et la ligne fine sous la flèche la direction de votre sous-marin. Dans l’illustration, le sonar semble être une ALR.

Pour affiner les contacts, l’ordinateur reçoit les signaux « bande étroite » du sonar sélectionné (proue, ALR ou coque), sous la forme « signal sur bruit ». Un contact est donc représenté par un pic dans le bruit de fond. Pour sélectionner un contact, il suffit de placer le curseur de cet écran, situé sur la ligne d’azimut, sur un pic.

L’affichage de la plupart des sonars passifs se présente traditionnellement sous la forme d’une « chute d’eau » bidimensionnelle. Sur cet écran, sont affichées les différentes fréquences des bruits émis par le contact sélectionné.

L’axe horizontal représente les fréquences, l’axe vertical le temps en secondes. L’échelle des fréquences est ajustable comme nous le verrons plus loin. L’ensemble de ces lignes verticales, plus ou moins brillantes suivant la puissance du signal, représentent la signature spécifique du contact sélectionné.

Toutefois en fonction de la fréquence et du rapport SNR, toutes les fréquences d’un contact peuvent ne pas être affichées. Cela est d’autant plus vrai que la fréquence est élevée.

Les lignes rectilignes verticales représentent un signal constant, celles sinusoïdales une variation dans le signal, avec en abscisse la direction (l’azimut) du son et en ordonnée le temps (ou la fréquence pour une analyse spectrale).

Vous aurez remarqué qu’aucune de ces indications ne vous donne la distance du contact. Et c’est bien là le problème. Pour connaître la distance, il faut faire évoluer la position du sous-marin et procéder à tout un tas de calculs complexes. Les dernières suites sonar peuvent calculer la distance du but sans manœuvrer le sous-marin, « seulement » en comparant les données des différents sonars (sphère, de flanc, remorqué). 

Une première méthode consiste à mesurer le déphasage ou le retard entre les signaux reçus en divers points d’une antenne, ou entre des antennes espacées : la mesure de différence de trajets ainsi effectuée permet de remonter par triangulation à la position du bruiteur. 

Une autre solution est de mesurer les retards entre les trajets multiples selon lesquels arrive le signal délecté: une reconstruction géométrique du champs sonore permet d’en déduire, là aussi, la position du bruiteur. Enfin, l’intensité d’un contact et la vitesse du son ne présume absolument pas de sa distance et de sa position.

Bon nombre de paramètres influent sur l’affichage du contact comme la salinité, les mouvements d’eau, les glaces en surface, l’activité sismique, les couches de températures, la salinité, les saisons, les échos du fond et de la surface, l’état de la mer, la présence d’installations offshore (prétrolière, eolienne), le bruit rayonné par le sous-marin, etc. (voir diagramme de Wentz ci après).

Diagramme de Wentz représentant les niveaux de sons typiques des bruits ambiants de l’océan à différentes fréquences
Température en C° de l’eau à 400 m de profondeur
Salinité des différentes mers et océans
Typologie des fonds marins

Enfin, la qualité de l’écoute dépend de la vitesse de votre propre sous-marin. En effet, l’écoulement de l’eau sur les sonars (principalement les sonars situés dans le dôme) dégradent les performances.

En plus de cet écoulement, le bruit rayonné par le sous-marin peut être d’origine :

  • solidienne (transmission des vibrations vers la coque à travers les plots de suspension, les structures intermédiaires, les tuyauteries et les câbles),
  • fluidique (transmission des fluctuations de pression par les tuyauteries),
  • aérienne (excitation de la coque par le bruit aérien intérieur à la coque généré par les équipements).

Il faut aussi intégrer les déformations des signaux transmis : fluctuations dues aux inhomogénéités du milieu et aux interférences entre trajets multiples ainsi qu’aux réflexions sur la surface et le fond de la mer, changements de fréquence (effet Doppler) dus aux mouvements des sonars et des cibles.

Si les sonars ont considérablement évolué dans toutes les marines du monde, les outils d’aide à l’interpétation ont évolué en trois temps. A l’origine, chaque outil était indépendant des uns des autres et les analystes devaient se « taper » le boulot à la main pour faire une synthèse. On parle des DLA 2 buts et DLA 4 buts. On est ensuite passé au numérique en gardant des logiciels séparés mais avec un ordinateur pour élaborer la solution de tir (système TITAC). Sont enfin arrivés les suites intégrées avec interchangeabilité des écrans et automatisation casi complète du CO. On parle de la suite AN/BQQ-10 pour les Américains ou le système SYCOBS pour les Français (installée sur SNLE Classe Triomphant en premier, puis sur la Classe Suffren en raison du supplément de place disponible à bord). L’Interface Homme Machine (IHM) de ces suites sonar y a toute son importance et des études très poussés (analyse cognitive des Sonarman) ont été réalisées dès les années 80, notamment par le Naval Submarine Medical Research Lab de Groton CT.

Exemple de suite sonar Thales
Manuel de la suite BQQ-5

Se pose désormais la question de la classification. Autant, faire la différence entre un banc de crevette et un pétrolier ne pose pas de véritables difficultés (sauf pour le politique invité à bord), autant savoir de manière précise à qui on a à faire entre deux navires de guerre est une autre paire de manche.

Je me suis toujours posé la question de savoir comment on pouvait déterminer le nombre de pales en écoutant un bruit. Selon les analystes, aucune pale d’une même hélice ne possède les mêmes caractéristiques. Elles ne font pas le même bruit dans l’eau (cavitation) et il y en a toujours une qui fait plus de bruit que les autres. Il « suffit » donc de compter à quelle fréquence cette hélice passe et ainsi le nombre de tours vilebrequin et en déduire le nombre de rotations d’arbre d’hélice. C’est un peu comme un musicien qui identifie si une musique est à trois ou à quatre temps. Le problème vient désormais que les hélices d’aujourd’hui sont usinées informatiquement et que les défauts (ou différences entre les pales) sont de moins en moins présentes. Un nouveau casse tête même si les sous-marins actuels n’ont plus quatre pales (Chanteraide avait raison). Le comptage des tours ne pose donc pas trop de difficulté si on arrive à trouver une pale dominante. Pour faciliter le travail, on repasse les bandes au ralenti (1/4 , 1/2 ou 1/8ème) si la vitesse est élevée. Mais la clé, c’est l’entraînement, l’habitude et un chronomètre à portée de main. Avec le temps, un analyste arrive à compter en direct.

En dehors des biologiques, certains types de bateaux sont facilement reconnaissables : Les transporteurs sonnent comme s’ils étaient encrassés, en trombe, très constants ; les jet-skis et les hors-bords sonnent comme des cris constants alors que les navires de guerre sonnent comme un cheval au galop avec une foulée régulière. Quant-aux sous-marins, ce sont les plus discrets.

La difficulté viendra des hélices à pas variables. Une hélice d’une frégate peut donc tourner très rapidement sans pour autant faire avancer le navire. C’est l’enfer pour les analystes qui cherchent à déterminer la vitesse de la cible.

A partir de ces informations, il devient possible d’identifier le contact à partir de sa base de données à condition d’avoir une bonne base de données. Identifier un Kilo d’un Typhoon n’est pas trop compliqué. Mais il est illusoire de croire qu’un analyste puisse identifier un Kilo russe en particulier, sauf s’il a été identifié précédemment avec une signature sonore particulière. Un pays pourra certainement identifier avec précision un de ses propres sous-marins, mais rarement un bâtiment étranger à sa propre flotte.

Un autre moyen d’identifier la nationalité d’un bateau était la fréquence des systèmes utilisés pour la production électrique. Tous les pays de l’OTAN utilisaient des systèmes à 60 Hz alors que le bloc de l’Est (surnommé « Papa » utilisait du 50 Hz. Même si ces fréquences n’étaient pas les plus simples à tracer, cela pouvait donner une confirmation supplémentaire à l’opérateur. Cependant, comme les Russes utilisent de plus en plus des systèmes européens, il n’est pas certain que cette technique soit encore d’actualité.

Mais au-delà de la détection, ce qui prime désormais, ce sont les moyens mis en œuvre pour la discrétion acoustique. Tout ce qui tourne est monté sur plots pour limiter la propagation du bruit. Si les sous-marins Chinois avaient pris du retard en ce domaine, c’est notamment en raison du diamètre de leur coque qui ne permettait pas d’isoler les composant moteurs de la coque rigide. Pour maximiser la discrétion, il est désormais possible de créer des fréquences négatives pour annuler des raies trop caractéristiques. Le sous-marin fait son propre autocontrôle et avant de partir en mission il est enregistré par un autre sous-marin pour détecter d’autres anomalies. Il peut passer vers Hyères (il y a la même chose à Brest pour les SNLE) sur une base d’écoute qui fait la même chose en mieux. Quand un sous-marin part, surtout à proximité de la sortie des ports, il est toujours accompagné d’au moins un bateau de guerre qui brouille la signature du sous-marin afin d’éviter un enregistrement qui ira enrichir une base de données. Les signatures acoustiques évoluent dans le temps suite à des changements de matériels. Il faut donc régulièrement mettre à jour sa signature. Un travail considérable.

Et ce n’est pas parce qu’une nation s’entraîne avec d’autres marines alliées qu’elle va partager et croiser ses bases de données. Loin de là. La Marine française gardera le souvenir amer d’un patrouilleur maritime anglais lâchant ses bouées sonar à l’entrée du Canal de Suez juste avant le passage de la flotte pour compléter sa base de données… Les Français y avaient également pensé, mais sans imaginer le faire par peur de représailles diplomatiques… Dans la série « Messieurs les anglais, tirez les premiers » prononcé lors de la bataille de Fontenoy, on ne fait pas mieux.

Chaque marine, même amie, s’espionne et aucune ne partage ses informations. Pour le coup, c’est Secret Défense ! Il arrive parfois que lors d’une visite protocolaire, les marins échangent des sentiments, des anecdotes le soir en escale, mais rien de bien technique. Ca ne viendrait pas à l’idée. Des tentatives officielles de partage d’information ont pu avoir lieu entre Marine de l’OTAN (avec les USA notamment), mais sans grand succès. Peut-être pas les bons interlocuteurs…

Se pose ensuite le problème de transfert de compétences lors de l’exportation de matériels à l’étranger. Vendre une suite sonar est une chose, mais lui expliquer comment bien l’utiliser en est une autre…

On a souvent dit ou pensé (l’égo, la fierté, la méconnaissance, je ne sais pas) que les Oreilles d’Or n’existaient que dans la Marine française et qu’aux Etats-Unis, on privilégiait les ordinateurs à la compétence humaine. En fait, il faut nuancer cette supposition car si les Américains possédaient des ordinateurs plus puissants que les nôtres, il n’ont jamais délaissé l’oreille humaine. Aux Etats-Unis, le terme « Oreille d’Or » n’existe pas (c’est peut-être pour cette raison qu’on en trouve pas). On parle de « Techniciens Sonar Sous-marins » ou STS (par opposition aux STG qui sont embarqués sur les navires de surface). 

Leur formation n’a rien d’une partie de plaisir lorsque l’on feuillette le manuel de référence océanographique et acoustique de la flotte RP-33, ou « bible du sonar » (déclassifié). C’est l’équivalent du GECO français (Guide d’Exploitation du Central Opération).

Dans la Navy, et jusqu’en 2010 (Los Angeles 1ère génération), la classification d’une cible était effectuée uniquement par les techniciens sonar. L’identification automatique des cibles étaient inexistantes. La classification était effectuée en détectant les fréquences et en les faisant correspondre à des informations connues, généralement à partir d’un livre ou d’une base de données stockée dans des ordinateurs portables. Depuis 2010, la situation a évoluée et à partir de la Classe Los Angeles Improved, puis Virginia, la classification se fait aussi par ordinateur. Généralement les STS ou « Sonarman » jusqu’en 1964 fonctionnent par binôme. A partir de la suite sonar AN/BQQ-10, Le premier surveille la bande large et extrait les fréquences à analyser par le second sur la bande étroite (situé à ses côtés). Il semble que ces STS (Shower Techs dans le jargon) soient affectés à un bateau (contrairement aux Oreilles d’Or). Dans les années 80, il n’y avait qu’un seul STS à bord des SSN américains, ce qui pouvait poser des problèmes de vigilance quand ces derniers devaient effectuer 16 heures de veille.

Il existe des STS, qui deviennent des experts en classification de cibles, appelés ACINT (intelligence acoustique). Ils sont entraînés encore plus dur que les STS normaux et sont des experts en la matière sur les navires de la marine étrangère et leurs signaux. Les équipes de l’ACINT naviguent généralement sur sous-marins d’attaque lors de missions de collecte de renseignements ou d’autres affaires hautement secrètes. La classification équivalent aux Oreilles d’Or serait STS E-05 à STS E-08 (E-09 étant le maximum). Ils sont sélectionnés parmis les STS de rang inférieur puis vont en formation pour apprendre des techniques de sonar plus avancées et mémoriser les signatures de nombreux navires étrangers. Certains seraient spécialisés dans un ou plusieurs pays. Ce sont quelques-uns des emplois sous-marins les plus secrets, mais ils sont toujours techniquement STS, bien qu’ils puissent parfois provenir d’un domaine de qualification encore plus obscur, connu sous le nom de technicien cryptologue (CT). Il existe également un Centre d’interprétation pour les SOSUS, mais les analystes sont principalement des civils. Ces derniers interprètent à terre les signaux de ces capteurs situés sur le fond des océans ainsi que les captations des ALR TBF de plus de 5 km réglés à une fréquence de 4Hz tirés par des trimarans à propulsion électrique.

De là à dire que le CIRA a son équivalence aux USA est un pas que l’on ne franchira pas. Cela reste une spécificité française de très haut niveau.

Manuel de l’US Navy (1957)
Sonar Russe
Station sonar à bord d'un Roméo soviétique

En Allemagne, l’organisation se rapproche de celle observée aux USA. Il y a des analystes et classificateurs expérimentés (niveau Master Chief à minima), mais ces derniers interviennent après une classification automatique faite par logiciel. Ces algorithmes de classification sont développés en partenariat avec l’industrie allemande et avec d’autres unités comme les MPA (Military Patrol Aircraft). Ces analystes sont affectés à un bateau particulier après une formation initiale au sein du Centre de formation Uboot (AZU). Lorsque ces derniers ne répondent plus aux critères d’âge pour naviguer à bord, ils sont regroupés à terre au sein du HAM (Centre d’Analyse Hydroacoustique de la Marine) afin d’analyser finement les sons captés en mer et d’enrichir la base de données nationale. Il n’y a donc pas de formation en continue comme en France. Compte tenu de la taille réduite des sous-marins allemands, un seul analyste embarque à bord (d’où un problème de continuité du service). Des pourparlés avec l’OTAN ont été engagés afin de parfaire la formation de ces analystes et quelques très rares « cours de commandement » ont été réalisés avec des marines américaines, anglaises et françaises, mais jamais sur SNLE. De même, si la marine allemande forme (pas toujours) les analystes de ses pays clients (Grèce, Portugal, Israël…), le contenu est purement théorique et jamais la base de données nationale n’est mise à disposition des étrangers. En effet, moins on en dit sur la tactique et sur l’expérience acquise, mieux on se porte. La source doit toujours être protégée, sinon elle va se tarir !

Il semblerait que l’on trouve des équivalences chez les Anglais qui auraient en leur marine des supers classificateurs, mais sans pour autant former un pool (type CIRA) aussi spécifique qu’en France. 

Au Royaume Uni, Thales a ouvert en 2018 un centre de formation au sonar très innovant pour la Royal Navy. Cette nouvelle installation à la base navale de Clyde à Faslane en Écosse apporte une formation au sonar hautement réaliste aux sous-mariniers qui exploitent le système Thales Sonar 2076, leader du marché (avec près de 13.000 hydrophones et une capacité de calcul équivalente à 60.000 ordinateurs personnels)). L’ouverture de l’installation de Faslane s’appuie également sur le succès d’une installation similaire ouverte sur le HMS Raleigh en 2015. Ces deux installations donnent aux sous-mariniers un réel avantage opérationnel sur leurs adversaires car elles permettent aux opérateurs de sonar de s’entraîner sur le système de sonar exact sur lequel ils travailleront. dans leurs sous-marins individuels. Ce système de technologie de formation à reconfiguration rapide (RRTT) offre une formation pratique très réaliste et supprime tout « retard de formation » où les opérateurs devaient auparavant se familiariser avec les systèmes individuels sur différents bateaux.

Au Canada, les analystes Passent par l’École navale des Forces canadiennes à Esquimalt, en Colombie-Britannique (CADA). La formation dure environ 25 semaines. Ils peuvent ensuite bénéficier de formations complémentaires au cours de leur vie professionnelle, mais cela ne relève pas d’une formation ou d’un entraînement systématique. Pour les autres marines, c’est l’inconnu. Chaque pays possède son centre spécifique mais on en sait très peu sur le contenu des formations qui y sont dispensées. De plus en plus les constructeurs logiciel et systèmes de suites sonar développent des Centres de simulation, comme Thales ou ECA Group pour la Marine indonésienne.

En Argentine, les nouveaux sonaristes passent par l’école anti-sous-marine située dans la base la plus importante du pays qui est Puerto Belgrano située dans la province de Buenos Aires. Ils y sont pour une durée d’un an en alternance (formation scolaire et navigations à bord des unités de la flotte. Une fois le diplôme obtenu, l’élève peut choisir d’être sonariste d’unité de surface ou sonariste de sous-marin. Les postes vacants pour les sonaristes sous-marins sont très rares au regard de la taille de la flotte. Ceux qui sont acceptés pour les sous-marins doivent se rendre à l’école de sous-marins à Mar del Plata pour une formation d’une année. Les 6 premiers mois sont consacrés à l’étude des caractéristiques des sous-marins (toutes disciplines confondues) et les 6 derniers mois sont uniquement alloués au métier de sonariste. Une fois le cours terminé, le sonariste est affecté à un équipage déterminé et ce, de manière permanente. S’il n’y a pas de poste libre, il intègre  une équipe de suppléant en cas de défection (maladie ou problème familial). Chaque bateau a donc un équipage permanent et un équipage complémentaire.L’école dispose d’un laboratoire d’écoute hydrophonique et d’un coatch tactique. Le commandement des forces sous-marines dispose également d’un département hydroacoustique doté d’une banque d’enregistrements numériques obtenus à l’aides des sous-marins lors des missions, enregistrements qui sont donc analysés à terre par ce département. Il est également en charge de faire des enregistrements de signature acoustique des sous-marins et des unités de surface si nécessaire. Pour faire ce travail, l’Argentine dispose d’un bateau équipé de processeurs acoustiques avec un chenal en pleine mer, bardé d’hydrophones, pour effectuer ces tests (notons que ces tests peuvenu être réalisés en partie à quai par holographie acoustique en champ proche (NAH – Nearfield Acoustic Holography)). Chaque sous-marin argentin dispose de quatre sonaristes. Trois s’occupent des principaux équipements (sonar passif, processeur d’information, télémètre acoustique passif), mais ils sont tous interchangeables. En mode combat, le quatrième (sous-officier en charge du sonar) coordonne le tout, évalue la situation et rend compte au commandant en second. Comme l’Argentine ne construit pas ses propres sous-marins, elle envoie quelques futurs représentants des équipages en Allemagne pour maîtriser les équipements et s’assurer du transfert de compétence. L’occasion également de suivre des cours sur la maintenance des sonars à Krupp Atlas Bremen ou en France pour apprivoiser le télémètre acoustic passif. Au-delà de ces formations, les sonaristes s’entraînent une fois par an avec des opérateurs acoustiques P3 Orion de la Naval Air Force. L’exemple de l’Argentine est fort interessant car il peut être le reflet des Pays dotés d’une petite force sous-marine. Peu de moyens pour entretenir ou modernier les unités, mais une organisation qui sur le plan humain ne laisse rien au hasard !

En Russie, l’Ordonnance du Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie du 28 septembre 2021 n ° 379 bloque toute sortie d’information (même sur la formation des militaires), à l’exception des informations contenues dans le domaine public. Mais comme pas grand-chose n’est public… On pourra juste dire que si, pendant la guerre froide, les soviétiques étaient très en retard sur l’analyse sonar (retard informatique), ils avaient pris de l’avance sur les systèmes SOX (détection des sillages) dès la fin des années 80. Mais c’est une autre histoire…

En France, pour obtenir la qualification, il faut poursuivre un cycle de formation très formalisé de plus d’un an au sein du CIRA (Centre d’interprétation et de reconnaissance acoustique). L’origine du CIRA remonte à la fin des années 70 quand la CEPSM (Commission d’Etude Pratique des Sous-Mariniers) lui a confié la mission de former nos fameuses « Oreilles d’Or ». Avant cette création, les bruits étaient enregistrés à bord avec des « Nagra » à bande puis décryptés à terre. Tout était fait avec beaucoup de sérieux, mais le matériel était assez rudimentaire. Il n’y avait pas encore d’analystes sonar à bord (avant les Agosta) et les hommes d’équipage écoutaient à tour de rôle. Lorsqu’un bruit suspect était identifié, le chef CO venait écouter. Et quand les analystes montaient à bord, tous ceux qui n’étaient pas habilités « Secret Défense » étaient éloignés du CO.

Aujourd’hui, avant de devenir analyste, l’officier marinier doit d’abord suivre les formations « d’écouteur » et de « classificateur ». Il se passe plusieurs années pendant lesquelles le spécialiste navigue à des postes d’opérateurs sonar, acquérant ainsi l’expérience nécessaire. Et c’est à l’issue d’une année au CIRA et de plus de 500 heures d’écoute et de mémorisation de bandes sonores qu’il accède au grade d’analyste en guerre acoustique (voir infographie ci-dessous). Ces écoutes concernent tous les sonars actifs ou passifs des corvettes, sous-marins, bouées et patrouilleurs maritimes en activité. On y apprend également tout ce qui se passe sur un bateau et donc qui est en capacité de générer du bruit. Un cours extrêmement complet.

Ils sont recrutés principalement parmi les marins ayant obtenu le Brevet d’Aptitude Technique (BAT) avec une spécialité de détecteurs anti-sous-marins (DeASM ou DSM). Néanmoins, le recrutement interne est ouvert à toutes les spécialités. Une fois le diplôme obtenu, l’analyste intègre un pool d’analystes basé au CIRA et qui s’entraîne continuellement. Lorsqu’un bateau a besoin d’un analyste, il formule une demande par message et le CIRA est tenu de lui fournir la compétence demandée pour la mission considérée. Il n’est donc pas affecté à un bateau de surface, un sous-marin en particulier ou un patrouilleur martime (PATMAR). Il fait partie d’une cohorte d’experts formés en continue qui peuvent embarquer, sans pour autant faire partie d’un équipage. De cette position, il peut arriver qu’il se sente éloigné des autres membres, plus distant. Tout dépend de l’individu et de sa capacité d’intégration. Il réfère au commandant et n’est donc pas soumis aux autres obligations du bord. De manière générale, deux analystes sont en patrouille sur les SNA et SNLE car ils doivent assurer une veille continue tout au long de la patrouille. Sur SNA, l’activité suit généralement le rythme des quarts et sur SNLE, ils alternent un jour sur deux. Sur une frégate, la présence n’est pas obligatoire et un seul analyste est généralement détaché, car sa présence n’est nécessaire que lors du largage des bouées. Tout dépend de la mission comme pour les missions « Aiglefin » au large de Mourmansk, ou deux analystes étaient présents à bord afin de pister les sous-marins soviétiques. S’ils ne sont pas présents à bord, d’autres « écouteurs » ou « classificateurs » sont présents. Ces derniers ont été formés préalablement par ces experts en guerre accoustique lors de précédentes missions. De la même manière, il n’y a pas de suivi médical spécifique hormis la visite annuelle d’aptitude à la navigation sous-marine, à laquelle sont soumis tous les sous-mariniers et qui comprend un examen auditif.

Entre deux missions, les Oreilles d’Or reviennent au CIRA dans la base navale de Toulon. À terre, ils effectuent le traitement approfondi (dit de 3ème niveau) avec du matériel d’analyse plus performant, en temps différé, des détections obtenues par les unités à la mer. Les  Oreilles les plus expérimentés peuvent être affectés au groupement de formation pour transmettre leur savoir aux plus jeunes ou à la cellule d’expertise participant à la définition et au développement des futurs systèmes de classification. Le partage de l’expérience est donc optimisée au maximum.

En dehors d’une ouïe hors norme, la spécialité exige une capacité à gérer le stress. La survie du sous-marin dépend souvent de l’interprétation faite par l’opérateur accoustique et l’erreur de jugement se paie cher comme on peut le voir dans le « Chant du Loup ». La remise en cause est perpétuelle, car la multiplicité des senseurs ne garantit jamais une solution évidente. La capacité à se concentrer dans cet espace de tension est également essentielle. L’oreille d’or doit pouvoir extraire de la bande son qu’il reçoit toutes les informations non essentielles, parasites, qui seraient susceptibles de masquer le bruit à identifier. C’est comme si vous étiez à un repas de famille et que vous cherchiez à vous concentrer sur les « messes basses » prononcées à l’autre bout de la tablée.

Entre soixante et cent Oreilles d’Or (Secret Defense) exercent leur métier au sein de la Marine Nationale. Une marine qui considère qu’aucune machine n’est capable de rivaliser avec l’oreille humaine.

Cette vision est désormais partagée par l’ensembles des marines, notamment l’US Navy depuis la catastrophe en 2001 de l’Ehime Maru (l’USS Greenville avait percuté un bateau école japonais avec des étudiants à bord – 9 morts). Depuis cette tragédie, la Navy a révisé ses procédures et désormais, en arrivant à la profondeur périscopique, tout le CO doit être silencieux pour permettre à l’opérateur à large bande d’écouter les hélices ou autres contacts.

On est en droit de s’interroger sur le devenir des Oreilles d’Or face aux avancées technologiques. Selon les spécialistes, le CIRA a encore un bel avenir. En effet, l’informatique ne pourra classifier un contact que s’il existe dans sa base de données. Et même si la base de données est gigantesque, elle ne sera jamais exhaustive. De plus, un signal altéré pourra mettre l’ordinateur en échec. A contrario, l’humain peut avoir oublié dans sa mémoire auditive la signature d’un contact. Il ne pourra jamais certifier un contact comme peut le faire l’ordinateur. Par contre, et c’est là toute sa force, il pourra interpréter un signal par intuition, par extrapolation. Il pourra ainsi dire « je ne connais pas ce signal, mais il me fait penser à … ». Cette capacité n’est pas encore à l’ordre du jour pour un ordinateur. Cela relève de l’Intelligence Artificielle. Et on en est encore loin !

Pour en revenir à l’oreille absolue des musiciens, les Oreilles d’or finissent généralement par l’acquérir, mais uniquement par le travail. C’est toute la différence. De la même façon, une série de tests auditifs réalisés à l’Hôpital St Anne ont montrés que des patients ayant une oreille plus performante que nos analystes n’étaient pas forcément plus doués pour reconnaître les sons. Comme quoi, le métier d’une Oreille d’Or, ce n’est pas d’entendre, mais d’écouter. Un savant mélange d’apprentissage et d’intuition cognitive.

NB : On regrettera que d’autres marines, pourtant sollicitées, n’aient pas voulu répondre à mes demandes, mais cela peut évidemment se comprendre. Le sujet était sensible. L’occasion ici pour remercier ceux qui ont bien voulu participer à cette enquête qui finalement, ne  fait qu’expliquer, éclairer, sans divulguer aucun secret d’Etat (et c’était bien l’objectif recherché).

Quelques sources

http://www.mille-sabords.com/

https://docplayer.fr/74183488-Formation-ecole-sonar-sonar-signaux-acoustiques-sonar-passif-sonar-actif.html

https://www.colsbleus.fr/articles/11364

https://www.thalesgroup.com/fr/worldwide/defense/s-cube-integrated-submarine-sonar-suite

https://audiologie-demain.com/les-sentinelles-de-l-onde

https://www.researchgate.net/figure/Systeme-SONAR-pour-sous-marins_fig1_257542460

https://www.youtube.com/channel/UC9bMgCQyFNaMPsK9GtzM5dQ

https://zetlab.com/en/types-of-sonar-systems-lofar-and-demon-analysis/

https://www.cool.osd.mil/usn/enlisted/sts.htm

https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01456797v2/document

https://archimer.ifremer.fr/doc/00017/12790/9731.pdf

https://www.bruit.fr/images/acoustique_techniques/AT48-3-10_compressed.pdf

https://www.dataphysics.com/fr/applications/acoustic-testing/underwater-acoustic-testing.html

Et d’autres…

Souvenirs, souvenirs…

« Les anciens des diesels se souviennent certainement des longs moments passés au sud du Brusc ou de Cap Ferrat. C’est là où la Marine dispose de deux stations de recherche acoustique. Pour la petite histoire, la station du Brusc avait un personnage étonnant à sa tête : Madame Ursula (Ursula Pacaud-Meindl). Une allemande, spécialiste des appareils d’écoute des U-boat, que nous avions « récupéré » à la fin de la guerre. Pour éviter les problèmes inhérents à sa nationalité elle avait épousé un ingénieur du Génie Maritime. Dès qu’elle avait quelque chose à mettre au point elle embarquait sur le sous-marin cobaye. Nous avons eu l’occasion de la connaître sur la Classe Daphné. C’était un vrai marin avec clope et vin rouge, mais une tête en ce qui concernait la mise au point des appareils d’écoute. Nos sonars étaient nettement meilleurs, à l’époque (1960) que tout ce qui existait dans les autres marines. N’oublions pas que les Russes ont piraté les plans de nos sonars DUUA pour équiper leurs sous-marins et que les Américains nous ont acheté les téléphones sous-marins TUUM.

Nous sommes passé des systèmes hydrophoniques passifs G16 au G36 puis au CCO2 en seulement quelques petites années grâce à des personnages comme Ursula et les équipes du Brusc et de Ferrat. Nous en avons fait des tours en plongée devant les bases ou alors amarrés entre deux coffres pendant qu’à terre les techniciens essayaient d’améliorer la sensibilité des futurs appareils.

Le terme Oreille d’Or n’existait pas à l’époque. Mais nous avions celui d’écouteur d’élite. Cela nous donnait vingt points supplémentaires pour l’avancement et le droit de coudre une étoile à cinq branches au-dessus de notre insigne de spécialité sur la manche. A l’époque, tout le personnel (sauf les mécaniciens et électriciens) passait régulièrement à l’ENSM pour se perfectionner en détection acoustique. Nous avions d’ailleurs une bande piège pour les jeunes opérateurs avec le La Fayette en giration avec quatre lignes d’arbres était absolument impossible à compter. Nous avions aussi des pièges pour les jeunes car en remontant en plongée vers Ferrat ils nous signalaient toujours sur bâbord un diesel à 800 tours/minutes. C’était le courant du Var en train de rouler les galets dans l’embouchure. Même chose au large d’Ouessant avec le fracas des vagues sur la côte de l’ile. Les écouteurs étaient à l’époque comme les pilotes de la flotte. Au bout de quelques années nous connaissions les bruits des gros cailloux sur la côte comme les Fourmis à Toulon… »

Station sur un Agosta
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