De la Sous-marinade aux Forces Sous-marines

Tout est dans le titre. Ou dans la nostalgie peut-être ?

Pour l’homme du bord, la sous-marinade, c’était son espace, sa famille, ses camarades, ses escales, ses angoisses, sa vie. Aujourd’hui, le terme serait devenu péjoratif. Il nous faut aujourd’hui parler de Forces sous-marines.

Comment explique-t-on cette transition ? Une question d’époque, de communication, de contrôle des autorités militaires, au passage à la propulsion nucléaire et aux SNLE, à la diplomatie française, une question d’état d’esprit, d’estime, de rivalité par rapport aux autres corps d’armée ?

Si on regarde les photos d’avant et les photos de maintenant, rien n’est comparable. Hier des franches rigolades, des passages de lignes, des escales. Aujourd’hui, des cérémonies officielles. Et pourtant, à l’époque des diesels, on économisait ses pellicules photos, alors qu’aujourd’hui… !!!

Certes le débat était pipé d’avance.

Etant donné que c’étaient les anciens qui allaient s’exprimer, la conclusion allait inévitablement être : « C’était mieux avant ! ». Mais au-delà de ce bilan ô combien réducteur (on a vite fait d’oublier les petits désagréments du passé pour ne se souvenir que du jour où on a pu attraper les c. du pacha alors qu’il descendait l’échelle du massif sans pour autant de faire virer de la Marine), il fallait creuser.

Il est à ce débat un fait à souligner. Et qui a son importance. Le personnel d’active n’a pas la possibilité de s’exprimer. En effet, les sous-mariniers qui sont actuellement en service ont été contraints d’observer un devoir de réserve (ce qui peut naturellement se comprendre). Il faut se souvenir que suite à la triste période d’attentats que la France à vécu, il leur était conseillé de ne pas adhérer à des associations pour rester discrets. Depuis une petite dizaine d’années, ils ont recouvré cette possibilité mais ne peuvent faire partie d’un bureau quelconque. Sur un plan purement juridique, rien n’est interdit, mais il n’est surtout pas interdit de ne pas se faire remarquer…

Il y aura donc très peu de sous-mariniers qui nous diront que la dernière version de Minecraft est plus sympa qu’un bon « torpilles sous l’Atlantique » projeté sur un drap blanc entre les racks de torpilles.

Car il faut bien dire que ces projections faisaient le régal du bord. Généralement, la mission était confiée au Radio, qui après s’être rendu responsable du choix des films (en 2 ou 3 bobines) au Service Cinéma de l’Arsenal, était surtout responsable du recollage des péllicules au risque de se faire sasser à la première occasion. Mais ces séances ciné font l’objet d’un autre article.

Revenons donc au débat.

La fine équipe sur le Roland Morillot
Cérémonie du Baptème

Il y aurait donc plusieurs générations de sous-mariniers (je ne parle pas des précurseurs):

  • Ceux qui ont connu les diesels et la seconde guerre mondiale et qui ont lancé des torpilles. Ils sont très rares aujourd’hui et leurs témoignages sont précieux ;
  • Ceux qui ont navigué sur les diesels (400, 800, 1200 tonnes) ;
  • Ceux qui ont navigués sur les « Nucs » d’attaque ;
  • Et et les détenteurs de la sureté nationale (SNLE).

Vous avez vu combien je suis élégant dans mes propos. Car il ne faut pas se le cacher, les termes entre ces différentes communauté sont beaucoup moins élogieux. On entend de tout, du respectable, de l’indifférence et tout le reste.

Plus les années passent et plus la distinction est notoire et le pire serait selon certains de changer de camp. Avant, un sous-marinier restait sous-marinier pendant toute sa vie en mer. S’il quittait la sous-marinade, c’était pour changer radicalement de métier. Jamais il ne lui serait venu l’idée de passer aux navires de surface, sauf impossibilité à plonger (problème médical) ou psychologique (traumas lié à la perte d’un ami cher lors d’un naufrage). A la rigueur, on peut passer de la sous-marinade à la construction de sous-marins. On reste dans le bain, on ne quitte pas ses amis. Au mieux, on fait tout pour qu’ils soient en sécurité. Mais passer du sous-marin au destroyer, quelle horreur !

Aujourd’hui, on peut allègrement passer de l’un à l’autre et il n’est pas rare de voir des parachutages (bien que les hommes soient très bien formés, rassurons-nous). Le sérail en prend un coup.

L’un d’entre vous me disait très justement « Nous étions sous-mariniers, puis marins, puis militaires ». Un autre « Nous avions l’esprit pro, mais l’aspect militaire n’était pas très important ».

Pour montrer cet aspect « pas très militaire à la base », les tenues réglementaires à bord étaient optionnelles. Tout juste de temps en temps un bon vieux teeshirt signé Marine Nationale, la base, tandis que le reste de l’accoutrement était laissé au libre arbitre des hommes du bord. Pas de limite, pourvu qu’elles soient confortables. Les grades n’y sont pas affichés car tout le monde se connait et se respecte. Il y avait tellement peu de place à bord qu’on embarquait le minimum. Si aucune escale avec cérémonie n’était prévue, le costume d’apparat blanc restait à la maison (sinon, on les mettait sur cintre entre les torpilles). C’est pour cela que c’était souvent la panique lorsque l’amirauté décidait de faire une petite visite cérémoniale. Lors des embarquements à quai, lorsque les spectateurs assistaient au départ, il était parfois bien compliqué pour les autorités militaires de savoir qui était marin entre deux chemises à fleur. Heureusement, la coupe de cheveux aidait à faire la différence. Il y avait aussi le pull « souris » et on enviait le magnifique pull à col roulé blanc (connu sous le nom de « Frock ») de la Royale Navy. Quelle élégance !

Aujourd’hui, si on ne connait pas les noms, on repère vite les grades. C’est d’autant plus facile que les tenues exotiques ont fait place à de belle tenues bleues, toujours signées « Marine Nationale » qui se veulent pratiques (je n’en doute pas) et garantissant le maximum de sécurité pour celui qui la porte (ignifugée). Il faut reconnaître qu’au moment des diesels, la climatisation dans tous les espaces du bord n’était pas optimale. On pouvait allègrement observer des différentiels de plus de 30°C entre deux sections et il fallait donc pouvoir se découvrir aisément. Aujourd’hui, un bon 22°C presque partout. Le rêve quoi ! Il en devient difficile de savoir sous quelle latitude on se trouve en touchant la paroi du sous-marin. Tout est si bien isolé !

Aujourd’hui, on est militaire, puis marin, puis sous-marinier. Et la Marine a du mal à trouver de nouveaux sous-mariniers. Normal, les texto ne marchent pas sous l’eau.

Un sous-marinier m’a raconté que dernièrement, lors d’un appareillage, un jeune marin envoyait un texto à sa petite chérie. Un officier-marinier lui dit alors « c’est le dernier ! » Quand le jeune a demandé pourquoi, l’explication, bien qu’évidente, provoqua en lui la panique. Il a décidé de quitter le bord immédiatement. Si il y a quelques années, l’épouse du sous-marinier était parfois prévenue du départ de son conjoint après que le bateau ait déjà plongé, cette dernière ne supporte plus ce genre de surprise. L’égalité des sexes (et c’est une bonne chose) ruine parfois des carrières prometteuses. Sur un navire de surface, tout y est différent. On est loin et proche à la fois.

Aujourd’hui, comme on ne peut plus envoyer de textos à bord, on utilise son smartphone ou sa tablette pour jouer. Seul ou en réseau, peu importe. Mais on ne se voit pas. En dehors des heures de quart, puisque désormais chacun à sa bannette, ses draps (à la place du duvet), on tire son rideau et on joue ou on regarde son film, on écoute sa musique. Je me demande même si quand les marins jouent en réseau ils utilisent des pseudos (histoire de na pas pouvoir se reconnaître en se croisant à la cafet. Mais comment reprocher aux jeunes de vivre avec leur temps, avec cette technologie qui les entoure ? Si pendant les années 80, on se limitait à écouter le walkman dans sa bannette en attendant de s’endormir, on était vite limité par la durée des piles. Les traditions perduraient et les marins avaient toujours plaisir à se retrouver à la cafet pour regarder un film sur le tube cathodique. Sur les tables étaient imprimés des fonds de jeu (Monopoly, scrabble, échec, etc.) Qu’en reste t-il aujourd’hui ? Un écran plat avec deux manettes pour jouer à FIFA ?

Et comme on ne se connait plus à bord, pourquoi se reconnaître à l’extérieur ?

Un homme du bord raconte « J’ai connu la sous-marinade enfant : les méchouis, les séjours à la Condamine, les repas de Noël. Tout cela avait une ambiance particulière, magnifiée par la mémoire et mon regard d’enfant ». Un autre « Nous connaissions tous nos familles, nos épouses. Elles se côtoyaient, passaient du moment entre-elles, se partageaient leurs inquiétudes, des conseils. Il n’était pas rare qu’entre les patrouilles, nous nous retrouvions pour déjeuner lors d’un piquenique ». Les escales favorisaient également ces rapprochements. Parfois, les conjointes venaient retrouver leurs époux en Espagne, en Algérie. Aujourd’hui, avec les « Nucs » les escales sont plus rares, plus courtes, moins de représentations, etc. Plus militaire quoi !

L’augmentation du confort à bord a également modifié les comportements. Les changements induits par les bannettes individuelles se retrouvent dans l’espace attribué aux repas. Sur les diesels, peu de place, pas de cafet au sens propre. Plutôt une longue tablée où s’amassent des hommes à la recherche d’une communauté bienveillante. On se retrouve tous selon le rythme des quarts. En témoignent ces nombreuses photos ou avant les années 70, le chien mascotte y avait même son assiette ! Les corvées d’épluchage étaient partagées, tout comme le vin qui passait au vinaigre en fin de patrouille. Aujourd’hui, les photos et vidéos qui circulent montrent des espaces beaucoup plus aseptisées, moins chaleureuses. La vie à bord se professionnalise.

C’est comme si la qualité de vie avait laissé place à la rigueur toute militaire. Les conditions difficiles de la vie d’hier suffisait à renforcer la cohésion des marins. Il fallait serrer les coudes, ne pas râler à la moindre odeur encore plus nauséabonde que d’habitude, ne pas chouiner lorsque la température montait au-delà des 50°C, quand l’oxygène venait à manquer, quand on ne pouvait prendre une douche que la veille d’une escale, quand les tympans sifflaient au schnorchel à l’IP, accepter de dormir sur les torpilles quand il n’y avait plus de bannette disponible. Si il avait fallu rajouter la rigueur militaire à ces conditions de vie difficiles, l’équipage n’aurait pas tenu.

Mais aujourd’hui, on a des vraies tables. Alors, on n’y met pas les coudes !

Et dans un espace où se tient bien, on ne pisse pas sur les ballasts. Enfin, si on le fait, on ne le fait pas devant tout le monde. On limite les conneries à bord car à l’ère du tout numérique, on a peur que le mec de la chambre d’en face diffuse les clichés sur internet au retour de la patrouille. En plus, ça entacherait l’image de la Marine. Donc, on contrôle tout. Le bord n’est plus une équipée sauvage de scouts qui savent se lâcher. Je me rappelle de ces années de scoutisme où dès que l’on était sorti du camp on enfilait nos vestes en jeans pour aller jouer au babyfoot au café du coin. On était bigrement loin de ses troupes rangées que l’on voit défiler à Versailles avec leur fanion. Pareil, changement de génération !

A la belle époque, il y avait aussi le traffic de denrées précieuses au retour des escales à l’étranger. Il fallait ruser pour sortir quelques cartouches de cigarettes ou liqueurs délicieuses en détaxe à la barbe des Gabelous (douaniers). Un sport national pour ravitailler les copains de la base.

Un sous-marinier raconte : « A bord, au pouvait encore faire des frites avec à côté un pompier lourd avec son extincteur, faire du pain avec de l’eau de mer, cuisiner du singe sur des turbines, boire du lait de hiboux après le zeraq » (quart se déroulant de minuit à quatre heures du matin).

Alors évidemment, quand un équipage des Forces sous-marines se lâche, ça peut faire de gros dégâts (surtout médiatiques). Si les sous-mariniers anglais semblent être champion dans ce domaine avec des histoires de sexe et de drogue à bord, on serait bien naïf de croire que cela n’arrive que de l’autre côté de la Manche !

Mais on est doucement passé de la sous-marinade aux Forces sous-marines. Peut-être un peu moins sur les SNA et autres sous-marins d’attaque que sur les SNLE où selon certains « on s’ennuie ferme ». L’espace des SNA y est plus exigu. Donc, on se connait, on se retrouve. Les escales y sont également plus nombreuses, on sait où on navigue, on imagine la surface et parfois on l’observe depuis que la vue périscopique peut être partagée sur écran au PCNO. Et même parfois, on se baigne ! Tandis que que un SNLE, certains accomplissent des patrouilles sans avoir pour autant visité tous les compartiments. On n’est nulle part, pour montrer que l’on est partout à la fois. Effacé, transparent, dilué. Le bateau déteint sur son équipage. Un sous-marinier quelque peu désabusé écrivait dans ses mémoires : «  La vie à bord, en patrouille, est casi conforme à celle de la majorité de la population française. 10% de locomotives, 10% de mécontents, 80% de moutons. Il y a des gens qui, en patrouille, suivent le rytme parisien de métro/boulot/dodo. Ils font leur quarts, vont manger, se retirent dans leurs couchettes et, s’isolant en tirant le rideau, se mettent le bas-parleur sous l’oreille pour écouter la musique. Nous les voyons refaire surface à la reprise du quart, ou à l’heure de la bouffe ou du poste propreté. Le reste du temps, ils sont aux abonnés absents ».

L’un d’entre vous expliquait fort justement : « L’armée  sacrifie à une mode anglosaxonne, propagée par les films, où l’on ne parle plus de commandos, mais de forces spéciales. Ce qui fait maintenant partie de l’harmonisation des langages OTAN. A mon époque il n’y avait que la FOST, maintenant un jeune part en stage à Navale, ils parlent de faire un stage dans les « Forces », Spéciales, Sous-Marines, Surfaces, Aériennes … Il existe une très nette hiérarchie entre les forces dites « Opérationnelles » et le reste, écoles, bases, logistique, unité à terre ou sédentaire… Qui par définition ne font pas partie des « Forces » … De même il existe également une hiérarchie entre les 3 « corps », dit « d’élites », sous-marins, commandos, pilotes. A tel point que des insignes ont été créés il y a quelques années pour les autres (surface, mines etc.). Ne pas avoir d’insignes sur la poitrine créait des jalousies, mais peut d’entres eux voulaient nous suivre ou en étaient capables ! »

Un autre marin fait remarquer que « cette évolution des mentalités est sensible partout, et en particulier dans les corps qui vivent (ou vivaient) en milieu « clos » (ex : gendarmes, pompiers). Elle est liée aux changements de la vie en société où l’entraide est moins nécessaire et l’individualisme favorisé. L’esprit de la sous-marinade ne doit pas être abordé avec nostalgie : c’était surtout le mode de vie d’une époque. Les forces sous-marines ont développé un autre esprit, avec d’autres contraintes et d’autres impératifs. Mais le sentiment « profond » (sans jeu de mot) du sous-marinier reste le même ! ».

Tout n’est pas perdu pour autant. Des sous-mariniers d’actives ou jeunes retraités confirment que l’on joue toujours aux cartes et autres jeux de société et que l’ambiance est toujours bonne à bord. Maintenant, à chaque époque sa musique. On est passé de la Ronde au Tango puis à l’Electro. Un jeune retraité me précisait « A l’époque des diesels un sous-marinier avec un QI de 100 (donc normal) pouvait comprendre et maîtriser tous les secteurs du bord. Aujourd’hui avec le même QI, c’est devenu si complexe qu’il ne peut contrôler que quelques mètres carrés. Du coup, chacun se limite à son domaine de compétence et les échanges et les partages sont plus limités. Difficile de donner un coup de main dans un domaine que l’on ne maîtrise pas. Le sous-marin est devenu une affaire de spécialistes à tel point que certains ne font plus partie d’un équipage (oreilles d’or par exemple). Il sont détachés à bord selon les missions ».

Un amiral ayant lu mon livre a commenté en disant que j’avais un peu trop utilisé le terme « sous-marinade ». Que c’était un peu péjoratif et qu’il fallait mieux parler de « Forces sous-marines ». Mais pourquoi parler d’un terme péjoratif pour un mot qui se traduit par « confrérie des sous-mariniers » ?

S’il y a bien un therme qui a sa valeur, c’est cette confrérie. Confrérie où la vie entière de l’équipage dépend de la qualité et du sérieux professionnel de chacun. Ce professionalisme est sans nul doute la marque prédominante de tous les sous-mariniers du monde, qu’ils soient de la sous-marinade ou des Forces sous-marines. Et c’est bien là l’essentiel !

NB : Un grand MERCI à tous ceux qui ont bien voulu témoigner sur ce sujet sensible.

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