L’affaire des sous-marins espions en Suède

Entre 1981 et 1995, de nombreux sous-marins étrangers sont venus faire des petites visites régulières dans les eaux territoriales suédoises. Ce n’était pas particulièrement nouveau, car des incursions avaient été constatées depuis 1962, mais de manière sporadique et il suffisait de quelques coups de semonce pour que le calme revienne. Mais en 1981, tout s’accélère. Petit tour d’horizon de ces escapades non autorisées.

27 Octobre 1981 : C’est ce que l’on appellera « l’affaire Whiskey on the Rocks ». Le Whiskey soviétique S-363 (U137) s’échoue sur les rochers à quelques km de la base navale suédoise de Karlskrona. Véritable incident diplomatique d’autant que l’intru est doté de torpilles à charge nucléaire. Il prétextera une erreur de navigation. Les Suédois refuseront toute assistance de la part des soviétiques et ce n’est qu’en payant une forte somme d’argent qu’il put repartir en eaux libres les barers de plongée en berne.

Les intrusions se multiplient ensuite avec un maximum de 18 intrusions confirmées et 22 probables en 1982. Entre 1981 et 2000, les Suédois noteront 125 violations avérées, 416 probables et près de 3500 activités douteuses (le détail vous en est donné dans l’ouvrage de « Histoire des Sous-marins d’Alexandre Sheldon-Duplaix et Jean-Marie Mathey).

« l’affaire Whiskey on the Rocks »
Le NR-1, un candidat sérieux
Roue du NR-1
Trace de roue du NR-1

A de nombreuses occasions, les Suédois sont presque sur le point de surprendre l’ennemi, voire de capturer le sous-marin. On les touche presque, on les renifle, on les voit, on les respire. Mais ils s’échappent toujours. On tente même parfois la manière forte en les grenadant, quitte à prendre le risque de les couler. Des moyens énormes sont mis en jeux. Des moyens financiers, techniques (hydrophones, détecteurs d’anomalies magnétiques, champ de mines) et même psychologiques. Ils ont ainsi immergé une pancarte avec un marin homosexuel pour repousser les Russes (voir la page sur la Suède). Un détail est cependant surprenant : Au cours d’une chasse sous-marine à Karlskrona en février-mars 1984 des informations plus détaillées ont été reçu sur un seul sous-marin : il aurait eu une seule hélice d’entraînement avec cinq pales. Cela pouvait éventuellement indiquer un sous-marin Américain et non pas Russe…

Les Russes tentent de se disculper en expliquant qu’ils ne disposaient pas de mini sous-marins capables de telles incursions entre les années 1982 et 1987 (la Classe Losos du Projet Piranha 865 est entrée en service en 1988).

C’est alors qu’une autre théorie pointe le bout de son nez. Les intrusions seraient effectuées par les Américains ou les Anglais pour tester la capacité de défense des Suédois face à une possible opposition soviétique. Les Américains auraient également pu réaliser ces opérations pour faire croire à la population suédoise que c’était l’œuvre des Soviétiques et ainsi renforcer l’anticommunisme local en surfant sur l’affaire du Whiskey de 1981.

Pour réaliser ces missions, les Américains disposent du NR-1 (en service depuis 1969) et ce dernier est équipé de roues qui lui permet de se déplacer sur le fond de la mer. Or, curieuse coïncidence, on a relevé des traces de roues sur le fond de la mer à Harsfarden en 1982 (ou en 84 – les sources divergent), puis des traces de chenille sur près de 1.100 m en 1986 autour de l’île de Gotland. La commission d’enquête proposera également la mise en œuvre d’un GST (9GST3) ou d’un MG-110 construit par les Italiens pour mener de telles opérations pour le compte de l’OTAN. Mais jusqu’à preuve du contraire, ces petits sous-marins ne sont pas équipés de chenilles ou de roues. Enfin, les nostalgiques auraient pu penser à un sous-marin unique, le Seeteufel, construit en Allemagne en 1944, qui était équipé de chenilles. Mais ce n’était pas raisonnable.

On apprendra ensuite que les USA ont bien mené des opérations secrètes dans les années 80 dans les eaux suédoises. Pas par la marine, mais par la CIA qui utilise couramment des plateformes de la NAVY. Plusieurs petits sous-marins comme le DSV Turtle ou le Deep Quest de Lockheed ont été transformés avec des piles à combustible pour pouvoir réaliser de longues missions sous l’eau. Mais ces petits submersibles ne possèdent pas de roues.

La piste des harengs

En 1996, constatant que l’activité sous-marine n’avait pas cessé avec la fin de la guerre froide, la Svenska marinen – la marine royale suédoise – demanda à Magnus Wahlberg, professeur au département de biologie à l’université du Danemark du Sud, d’écouter les sons enregistrés afin de les identifier, dans une salle secrète de sa base de Bergen, à Stockholm.

Le 19 février, il est revenu sur l’affaire au micro de WNYC, une radio de New York. Magnus Wahlberg a expliqué qu’il s’attendait à entendre des sons comme dans les films, le « ping » d’un sous-marin qui aurait été détecté ou celui de ses hélices : « Mais pas du tout ! On aurait dit quelqu’un qui fait frire du bacon, des petites bulles d’air libérées dans l’eau. »

Avec Hakan Westenberg, un collègue suédois, ils penchent alors pour un son d’origine animale. Leurs recherches les mènent aux harengs : lorsqu’ils se déplacent, ces poissons forment de gigantesques bancs qui peuvent atteindre plusieurs kilomètres carrés et jusqu’à 20 mètres d’épaisseur. Surtout, ils disposent d’une vessie natatoire reliée à leur canal anal. Ils peuvent remplir d’air cette poche pour se déplacer en profondeur, afin de compenser la pression de l’eau. Et ce sont les bruits produits quand ils évacuent le surplus de gaz pour remonter à la surface qui peuvent être détectés par les appareils d’enregistrement. La marine suédoise connaissait les signatures sonores des baleines, phoques et autres morses, mais n’avait pas envisagé que de si petits poissons puissent faire un tel raffut.

En 2002, Magnus Wahlberg et Hakan Westenberg publient les résultats de leurs recherches sur les sons émis par les harengs. En 2004, leur travail est couronné d’un prix Ig Nobel de biologie – prix parodique du Nobel décerné chaque année à dix recherches scientifiques qui paraissent loufoques ou anodines.

Sonogramme d’un banc de harengs

Un étrange déploiement en 2014

En octobre 2014, une nouvelle histoire surgit : Les militaires suédois cherchaient un sous-marin russe au large des côtes de Stockholm, après avoir intercepté un signal de détresse indiquant « une activité sous-marine étrangère » Suspectées, les autorités russes nient toute violation illégale des eaux de la mer Baltique et déclarent qu’aucun de ses sous-marins n’était présent dans la région. Les services de renseignement suédois avaient détecté un premier signal d’urgence et pensaient qu’il avait été émis par un engin sous-marin rencontrant des problèmes mécaniques, comme le rapportent les médias suédois.

Quatorze heures plus tard, un vaisseau étranger aurait fait surface au milieu de d’un archipel des côtes suédoises, déclenchant une vague d’activité militaire semblable à celle déployée pendant les grandes heures de la guerre froide dans les années 1980, quand la Suède, pays neutre, nettoyait régulièrement ses îles de sous-marins soviétiques. Le journal suédois Svenska Dagbladet rapporte que l’armée suédoise aurait intercepté des fréquences radio codées entre les côtes de Stockholm et l’enclave russe de Kaliningrad. Les militaires russes n’ont ni confirmé ni nié ces rapports.

Moscou a catégoriquement démenti. « Il n’y a eu aucune situation irrégulière, et, encore moins, d’accidents impliquant des navires russes », a déclaré l’agence de presse russe Interfax, citant un porte-parole du ministre de la défense russe. L’article ajoute qu’un sous-marin endommagé pourrait avoir fait surface pour recevoir de l’aide de la part d’un autre navire, peut-être un pétrolier russe qui aurait été aperçu tournant en rond au large de Stockholm. Rapidement, la traque prend de l’ampleur, devenant une opération de contre-espionnage de grande envergure, avec des navires, des hélicoptères, des bateaux furtifs et des dragueurs de mines, 200 hommes fouillant la région à la recherche des mouvements du navire inconnu. Le chef des opérations de l’armée suédoise a déclaré ensuite qu’il n’y avait pas eu d’intervention militaire de sa part. Mais que l’armée resterait en alerte aussi longtemps que nécessaire.

Le fake de 2015

La découverte de l’épave d’un mystérieux sous-marin, portant des inscriptions en cyrillique, a suscité l’émoi dans le pays, neuf mois après le dernier épisode d’octobre 2014 dans la Baltique.

Les Suédois ne peuvent pas résister aux histoires de sous-marins, bonnes ou farfelues : le 27 juillet 2015, le quotidien Expressen annonce que des plongeurs suédois ont découvert l’épave d’un petit sous-marin portant des inscriptions en cyrillique dans les eaux suédoises de la mer Baltique. Les plongeurs déclarent qu’il a l’air moderne, sans dommage apparent. « Cela signifie que l’équipage peut encore se trouver à bord », dit l’un des plongeurs au quotidien de Stockholm. Des cohortes d’experts suédois pointent aussitôt le doigt vers la Russie, et avancent la thèse d’une mission d’espionnage, annonçant une crise potentielle.

Une journée aura suffi à révéler le pot aux roses. Le sous-marin est, selon les dernières analyses, de la Classe Som. Il s’agirait d’un submersible russe coulé en 1916 après une collision avec un navire suédois.

Le journal Svenska Dagbladet a révélé que les plongeurs d’Ocean X Team, qui ont découvert l’épave, connaissaient sa localisation depuis un an. « Une série télé a commencé à être tournée l’an dernier avec Ocean Team X dans le rôle le principal », écrit le journal, qui cite un des plongeurs : « Nous sommes une entreprise, et nous sommes bien conscients que cette attention (médiatique) est bonne ».

Alors ?

A part l’épisode du « Whiskey on the Rocks » où ce sous-marin soviétique s’est fait prendre tout seul, la Marine Suédoise ne possède aucune preuve. Inutile de dire que ces histoires ont nui à la crédibilité de l’armée et de ses moyens d’interception, d’où une véritable crise politique interne. D’autant que certaines suspicions d’intrusion ont par la suite été reclassées comme des biologiques, des bouées sonores, d’anciennes épaves, etc. Et si les preuves de ces opérations avaient tout simplement été manipulées ou simplement inventées ? Des documents et des entretiens classifiés indiquent en effet une activité secrète occidentale plutôt que soviétique. Ceci est soutenu par l’ancien secrétaire américain à la Défense, Caspar Weinberger, qui a déclaré que des opérations de « test » occidentales étaient régulièrement effectuées dans les eaux suédoises avec la coopération suédoise. Les capitaines de sous-marins de la Royal Navy ont également admis des opérations top secrètes. Dans les faits, la seule conclusion valable de toute cette histoire, c’est que la Marine suédoise a obtenu des fonds pour améliorer sa flotte sous-marine et ses moyens ASW.

Un but recherché ?

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